James Cameron n’avait finalement pas tort lorsqu’il prédisait en 1984 que notre XXIe siècle serait dominé par les machines. La bonne nouvelle, c’est que contrairement à ce qui se passe dans Terminator, ces machines ne sont pas (encore) douées de conscience et focalisées sur notre destruction. La mauvaise, c’est que les machines de guerre pratiquement autonomes sont aujourd’hui utilisées en masse par les humains, et l’armée américaine en particulier. Loin d’être uniquement dédiés au survol illégal de Paris, les drones armés font la loi dans les conflits que mène le pays d’Obama à l’étranger contre la menace djihadiste, particulièrement au Moyen-Orient. Cette notion de « conflit asymétrique », où l’un des deux camps décide d’envoyer uniquement des machines pour combattre l’autre, est le cœur battant du nouveau film d’Andrew Niccol, Good Kill.
Le scénariste de Truman Show et Bienvenue à Gattaca n’est pas étranger aux sujets polémiques : Lord of War, sans doute son film le plus réussi, réussissait entre deux enfoncements de portes ouvertes à gratter avec acidité le vernis des bonnes consciences occidentales, en traitant du trafic d’armes à l’échelle mondiale. En comparaison, Good Kill entreprend d’aborder un thème tout aussi globalisé en prenant la forme d’un drame de chambre. L’action du film est en effet confinée pour une bonne part dans un bunker mobile stationné au milieu du désert du Nevada. C’est de là que partent aujourd’hui selon Niccol (qui a évidemment réalisé son nouveau film sans le concours de l’armée US) la plupart des attaques militaires américaines : des militaires rivés à leurs écrans pilotent joystick à la main des drones volants à des milliers de kilomètres de leur base, et bombardent des cibles au sol, avec une précision toute relative. Rien de révolutionnaire dans cette méthode : la nouveauté, c’est que le pilote est absent du drone, et les risques de pertes humaines côté USA sont réduits à néant. Politiquement, c’est plus facile à assumer. Éthiquement, c’est par contre difficile à défendre.
Crise de conscience chez les petits soldats
Ces enjeux, Niccol les pose très clairement dans le premier quart d’heure de Good Kill : pilote usé par six tours successifs à l’étranger, Tom Egan (Ethan Hawke) a été relocalisé à Las Vegas, où il dirige chaque jour depuis sa base des drones qui pilonnent, en Afghanistan ou au Yémen, les cibles que lui indiquent ses supérieurs, à commencer par le commandant Johns (l’excellent Bruce Greenwood). Malgré la proximité retrouvée avec sa famille, Tom est pourtant frustré d’être cloué au sol, et il encaisse surtout de plus en plus durement les conséquences d’un travail consistant à réduire en poussière des silhouettes isolées depuis des appareils pratiquement invisibles à l’œil nu (il doit en plus estimer les pertes après chaque frappe, ce qui est dur « quand il ne reste que des bouts de corps »). Tom se sent lâche, et donc il boit, ne parle plus à sa femme (January Jones), conteste les ordres, surtout quand ils se mettent à venir de la CIA…
[quote_center] »Une sensation d’assister à un show spécial Ethan Hawke. »[/quote_center]
Découvrir la routine, effrayante de banalité, des soldats de l’unité d’Egan, est au départ une idée passionnante. Chaque mort confirmée à l’écran dans l’espace confiné où l’unité travaille est saluée d’un même code : « good kill ». Les processus de tir sont d’une simplicité désarmante. L’impact des missiles terrifiant. Le patriotisme bêlant de certains des frères d’armes de Tom, permet à Niccol de souligner à quel point le 11 septembre, puis les guerres menées en Irak et en Afghanistan, et leur lot de victimes, ont donné à l’Amérique un sentiment d’impunité totale dans ses actions. Et puis, petit à petit, c’est la répétition aliénante de cette routine qui permet de se rendre compte de cette vérité, aussi simple que gênante : passé ce moment où le spectateur s’indigne, se scandalise de cette façon effectivement lâche de mener une guerre, plus rien ne vient nous secouer dans notre torpeur. Niccol a, au bout de vingt minutes, grillé toutes ses cartouches et ne reste à l’écran qu’une sensation d’assister à un show spécial Ethan Hawke.
Flop Gun
La star de Boyhood et plus récemment Predestination hérite d’un rôle en apparence riche et complexe, une sorte de version périmée et usée par le temps du Maverick de Top Gun, avec son blouson d’aviateur et ses Ray-Ban perpétuellement vissées sur les yeux. Hawke est le genre de comédien qui fait toujours plaisir à voir tant il sait nous connecter subtilement avec les états d’âmes de ses personnages. Le seul problème, c’est que Tom Egan n’a rien d’une figure digne d’empathie : Niccol nous demande de compatir aux problèmes d’un soldat qui ne rêve que de gros avions (mais des avions militaires, hein, pas des planeurs dénués de missiles), et fait passer sa crise de conscience morale sur le dos de sa femme et ses enfants, assez dociles pour venir s’installer dans la banlieue rectiligne de Las Vegas – une cité on ne peut plus opposée aux déserts afghans, ce qui est une bonne idée visuelle. Pour bien appuyer son propos, le réalisateur des Ames vagabondes (ah là, tout de suite, ça calme plus comme référence, hein ?) lance à mi-parcours dans les pattes d’Egan une nouvelle collègue « idéaliste », Vera Suarez (Zoë Kravitz), qui va, ô surprise, être confrontée aux mêmes tergiversations morales. Les soldats US semblent découvrir une fois aux commandes de drones que l’armée leur demande de tuer des gens, même des innocents ! « C’est juste la guerre », assène Johns à un Egan constipé par les remords. Au royaume de la lapalissade, Niccol semble être encore une fois le roi.
En démontrant que le personnage de Hawke subit le même stress post-traumatique que les soldats sur le terrain, le film emprunte du coup les mêmes sentiers archi-rebattus du genre. Et retombe sur les mêmes arcs narratifs, comme ce moment où Egan décide d’ignorer sciemment un ordre, ou s’achète une nouvelle conscience en vengeant par drone interposé une femme abusivement violée. Donc, si on en croit Niccol, les drones, c’est mal, mais pour punir de manière radicale les violeurs, ça peut toujours servir, donc mission accomplie, Tom ! Si côté réalisation, Niccol n’a pas grand-chose à se reprocher (certaines séquences sont très bien écrites et élégamment mises en scène), son manque effarant de subtilité contamine Good Kill à tous les étages du scénario jusqu’à son absurde conclusion, au point qu’il en devient presque involontairement comique. Un peu dommage vu la gravité de ce qu’il illustre…
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Good Kill
D’Andrew Niccol
2015 / USA / 102 minutes
Avec Ethan Hawke, Bruce Greenwood, January Jones
Sortie le 22 avril 2015
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