C’est un paradoxe : plus Alex de la Iglesia plonge sans répit dans une description glauque et chargée de colère de ses semblables, plus il parvient à se faire adorer des cinéphiles. Les Sorcières de Zugarramurdi marque le retour de l’auteur de genre ibérique le plus inspiré vers la comédie horrifique à la manière d’Action mutante ou de Le jour de la bête mais traite également de manière plus personnelle d’un trauma amoureux récent (le divorce du cinéaste). Il ne change pas radicalement de registre, après l’excellent Un Jour de Chance : la contestation haineuse de la société reste en toile de fond de cette grande farce aussi incorrecte que païenne.

Jésus braque le coffre

Les Sorcières de Zugarramurdi : l'orgie vengeresse

Après un générique étonnant qui met en scène des femmes contemporaines sous les traits de sorcières, le film débute avec « Jésus » et « Bob l’éponge » sur la Puerta del Sol. Au cœur de Madrid, deux braqueurs déguisés s’attaquent en compagnie d’un jeune garçon à un magasin d’or et s’en tirent de justesse en prenant en otage un chauffeur de taxi et son client. Ensemble, ils prennent la direction de la frontière française, où se trouve le village de Zugarramurdi, connu pour sa grotte légendaire. Selon le mythe, des sorcières brûlées vives sur place hantent ce lieu, un peu comme des cousines lointaines de celles de Salem. Obligés de traverser le village, les cinq compères font d’étranges rencontres, et surtout tentent de survivre à cette étape impromptue.

Dans la ville de Zugarramurdi, les habitants semblent tout droit sortis de La Famille Adams. Carmen Maura (800 balles) incarne une mère supérieure démoniaque habituée à inviter les étrangers de passage dans son assiette. Tour-à-tour adolescente gothique et rebelle, la belle Carolina Bang (Un Jour de chance)  se transforme petit à petit en jeune femme aimant faire tourner des têtes. Comme tous les chromosomes Y qui passent par là, José, incarné par Hugo Silva (The Body) tente maladroitement d’échapper à la marmite de Graciana tout en succombant au charme de sa fille. Son maquillage gris sensé représenter Jésus s’efface à mesure que l’histoire se déroule et qu’il prend ses responsabilités en tant que père en protégeant son enfant. Entre un restaurant cannibale, une mystérieuse main qui émerge des toilettes, un manoir gigantesque et poussiéreux et bien entendu des tours de passe-passe ésotériques spécifiquement féminins, les sorcières révèlent leur véritable nature avec délectation.

De la Iglesia n’épargne personne. Le début du film est marqué d’une misogynie extrême à travers des figures de braqueurs violents, de pères indignes et de grands traumatisés des femmes. Mais la démarche du réalisateur est également féministe. Il prend à bras le corps le thème de la sorcière, traumatisée, brûlée par des hommes apeurés, qui revient les hanter et les torturer avec une haine jouissive. Le film se poursuit en toute logique dans un féminisme et un machisme poussé chacun à l’extrême, décrivant les femmes comme aussi cruelles que folles, et les hommes comme plus terrifiés et faibles que lucides.

Hommes, femmes et cérémonie satanique

Les Sorcières de Zugarramurdi : l'orgie vengeresse

[quote_left] »Dans la ville de Zugarramurdi, les habitants semblent tout droit sortis de La Famille Adams. »[/quote_left]Les Sorcières de Zugarramurdi livre un instant de pur délire qui monte crescendo de mal en pis jusqu’à l’hystérie la plus totale. Alex de la Iglesia distribue dans sa grande générosité une multitude de rôles azimutés à une prestigieuse troupe d’acteurs, de Hugo Silva (The Body) à l’habituée Carmen Maura, en passant bien sûr par Carolina Bang (Balade Triste), Macarena Gomez (Verbo) et Mario Casas (Groupe d’élite). Cette véritable fourmilière d’idées tragi-comiques et de références au cinéma de genre (les films de Rob Zombie, de Dario Argento, et du réalisateur ibérique sont explicitement cités) cavale à un rythme effréné, avec un humour sous amphétamine et une hystérie pure qui pousse jusqu’à la révulsion. Le réalisateur espagnol a souhaité réaliser un film « total », une satire des relations hommes-femmes teintée d’ésotérisme, à la fois drôle et glauque, qui assume aussi son amour du fantastique et ses excès de style.

Peu connu pour être un homme de concessions, le réalisateur fonce ainsi tête baissée, sans se soucier des longueurs qui viennent parfois alourdir son film. Il se laisse emporter dans sa propre course, au risque d’agacer le spectateur confronté à un montage bancal, qui souffre d’une période creuse et d’une nette baisse de régime au milieu de l’histoire. Malgré ces défauts, Alex de la Iglesia signe une comédie horrifique sincère et réussie. Il entraîne son public dans une aventure improbable et hautement loufoque, qui confirme son statut d’artiste rare, dont le talent se mesure aux paris risqués qui jalonnent sa carrière.


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quatressurcinqLes Sorcières de Zugarramurdi
D’Alex de la Iglesia

2013 / Espagne / 111 minutes
Carmen Maura, Hugo Silva, Mario Casas
Sortie le 8 janvier 2014
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