Inconnu du public français, le réalisateur américain David Robert Mitchell est pourtant sur les radars des cinéphiles depuis son premier long-métrage, The Myth of the American sleepover, sorti en 2010 outre-Atlantique et resté longtemps inédit chez nous – malgré une sélection à Deauville – avant de finalement sortir en mai dernier en DVD (uniquement à la Fnac, pour l’info). Coïncidence ? Au même moment, la Semaine de la Critique projetait sur la Croisette son second film, It Follows, faisant naître un buzz durable le consacrant pour résumer « film fantastique de l’année ». La première bonne nouvelle, c’est que ce bouche-à-oreille très positif permettra au réalisateur de trouver le chemin des salles françaises en 2015. La deuxième, c’est que le film lui-même vaut largement toutes ces accolades, tant il redonne des couleurs, disons, virginales à un genre s’abîmant méchamment dans la redite et les clins d’œil stériles à un passé glorieux tourné en dérision.

Étreinte mortelle

It follows : derrière toi, malheureuse ! (Étrange Festival)

L’absence quasi totale de second degré constitue l’une des grandes forces d’It follows, ce qui est particulièrement utile dans l’acceptation de son pitch de départ, sorte de synthèse un peu folle entre Donnie Darko, The Grudge et Rendez-vous avec la peur. Jay est une jeune fille de 19 ans, qui passe ses week-ends à regarder des vieux films avec sa petite bande d’amis. Séduite par un petit copain pressant, elle cède à ses avances sur la banquette arrière d’une voiture. Ces instants d’innocence cèdent brutalement la place à des événements effrayants : Jay est la victime d’une malédiction qui se transmet… par le sexe, et se manifeste par la présence d’êtres marchant lentement vers elle pour une étreinte mortelle. Elle est la seule à les voir, et doit désormais vivre dans la peur d’une prochaine, et inévitable apparition…

[quote_center]« C’est dans la mise en image de son histoire, ainsi que dans sa direction d’acteurs, que Mitchell se démarque immédiatement de la masse. »[/quote_center]

Dans les mains d’artisans moins doués, l’idée centrale d’It follows aurait pu déboucher sur un slasher ridicule et racoleur. Des fantômes rappelant l’univers des films fantastiques japonais, des teenagers à l’humour acide et un peu geeks, du sexe… Sur le papier, le film brasse des ingrédients familiers, et c’est dans la mise en image de cette histoire, ainsi que dans sa direction d’acteurs, que Mitchell se démarque immédiatement de la masse. It follows agrippe notre attention et étonne dès la première séquence, placée comme beaucoup d’autres sous le double patronage de John Carpenter et Brian de Palma. La caméra investit une banlieue résidentielle typique, pour ne pas dire anonyme, dans laquelle semble prisonnière une ado apeurée, qui s’évade de la maison familiale pour échapper à une menace invisible. D’emblée, l’univers intrigue, le mystère attire, et le cinéaste s’amuse comme un fou à singer, sans le plagier, le style de caméra opératique de ses aînés : longs travellings accompagnant nos chers ados façon Halloween, panoramiques circulaires entêtants à la Blow Out, porosité progressive entre l’arrière et le premier plan… Même la musique de Disasterpeace s’entête, comme beaucoup d’autres ces dernières années, à ressusciter les nappes synthétiques si caractéristiques de Big John, en leur donnant un coup de fouet saturé plutôt convaincant.

Prisonniers d’un rêve fiévreux

It follows : derrière toi, malheureuse ! (Étrange Festival)

Surtout, It Follows s’amuse brillamment (et c’est trop rare) à jouer avec notre peur instinctive du hors-champ, cette indicible frontière visuelle au-delà de laquelle frétille notre imagination. Concrètement, Jay, comme son pas si sympathique petit ami (qui hérite de la meilleure ligne de dialogue, l’immortelle « Tu n’as qu’à coucher pour refiler la malédiction, c’est quand même plus facile quand on est une jolie fille ! »), ne peut à tout moment voir la menace arriver. Elle peut s’avancer derrière eux, sans se presser, et personne ne les préviendra de son arrivée, puisqu’elle leur reste invisible. Qu’y a-t-il alors de plus flippant qu’un spectre immortel dont personne, même vos dévoués amis, ne peut vous protéger ?

Film fantastique, It Follows l’est donc à 100 %, contrairement au premier long de Mitchell, qui décrivait sur un mode plus réaliste (et plus proche de Truffaut, dont le cinéaste avouait s’être inspiré) les tribulations d’une bande de teenagers bizarrement amorphes, secoués par leurs sentiments et coincés dans une sorte de cocon atemporel, comme effrayés par l’imminence de l’âge adulte. Les jeunots d’It follows, qui ont en commun d’être tous crédibles et interprétés avec justesse, notamment Kaira Monroe (Labor Day et bientôt The Guest), véritable sosie de Brittany Murphy, et Keir Gilchrist (vu dans United States of Tara), sont dans ce même état comateux. À la fois branchés sur leur époque – on croise une liseuse en forme de coquillage et quelques téléphones portables -, et habitants d’un monde aux anachronismes presque lynchiens – les voitures, les films, et ce cinéma à la « Silencio » où une vieille excentrique joue de l’harmonium en guise d’avant-séance, semblent sortir des années 50. Il en résulte une impression constante d’évoluer dans un rêve fiévreux aux contours mouvants, obéissant à une étrange logique, et défini par la persistance de ces apparitions qui changent d’ailleurs à chaque fois d’apparence.

Un avenir en ruines

It follows : derrière toi, malheureuse ! (Étrange Festival)

Efficace dans sa gestion de la peur, qui naît souvent d’un crescendo dramatique patiemment organisée plutôt que d’un jump scare éculé, It Follows gagne aussi quelques galons en construisant autour de l’odyssée rétro de son scooby-gang (il faut voir l’attirail analogique avec lequel ils décident de se défendre dans la scène finale de la piscine !) un sous-texte particulièrement efficace sur la déliquescence de la société occidentale et ses conséquences sur l’avenir de la jeunesse américaine. Est-ce un hasard si l’intrigue donne une telle place aux faubourgs en ruine de Détroit, ville symbole de la récession économique américaine et pleine de « cités fantômes » ?

De même, il donne à sa menace, larvée mais omniprésente, les atours d’une métaphore perspicace des ravages du puritanisme yankee sur une jeunesse tiraillée entre ses pulsions sexuelles et la culpabilité à laquelle les renvoie la doctrine religieuse locale. De nombreux spectres dans It Follows sont des adultes en blouse blanche ou nus, venus pointer un doigt accusateur sur ceux qui ont pêché, en les éliminant d’ailleurs par ce même moyen (une sorte de coït de l’extrême, apparemment). Mitchell enfonce ce clou en faisant de la dernière itération visible de son « suiveur » une figure bien connue de Jay. Preuve que derrière les apparats classiques du film d’horreur original et formellement impressionnant, se cache aussi un auteur en devenir au discours plutôt malin. C’est une autre, très bonne nouvelle, et pas seulement pour le genre.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatre sur cinq
It follows
De David Robert Mitchell
2014 / USA / 118 minutes
Avec Maika Monroe, Olivia Luccardi, Keir Gilchrist
Sortie le 4 février 2015
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