Le monde fantastique d’Oz est un projet curieux à plus d’un titre : c’est une préquelle du classique de 1939 librement inspirée des œuvres de Frank Baum, et un film de Sam Raimi. Que les producteurs d’Alice au pays des merveilles et de Blanche-Neige et le chasseur aient à nouveau cherché à donner un coup de jeune à l’univers des contes de fées, avec la même formule (prendre un conte universel et y apposer une nouvelle variante en n’oubliant pas les éléments les plus connus), n’est pas si surprenant. Que Disney ait par contre pensé au réalisateur des Spider-Man et de Jusqu’en enfer pour piloter un blockbuster de fantasy en 3D pour petits et grands, incite un peu plus à la curiosité. Du point de vue du réalisateur, dépossédé de sa franchise arachnéenne et de son projet d’adaptation de Warcraft, le choix se comprend : Raimi n’a jamais caché son amour pour Le magicien d’Oz, notamment en empruntant clairement sa structure narrative pour réaliser son Evil Dead 3 (sans parler de la dimension de conte cruel présente dans Mort ou Vif). Ce « Oz : le commencement » marque une volonté certaine de sa part de composer avec le système des studios, en tentant de ne pas perdre sa singularité : une prouesse déjà réussie (en partie) par le passé avec le Tisseur.

 [quote_center] »Indubitablement, la première heure du Monde d’Oz porte la marque de son metteur en scène, décidé à placer son film de commande sous le signe de l’illusion. »[/quote_center]

Dans ce nouveau Oz paré de mille couleurs, l’action débute, comme dans le film de Victor Fleming, dans un saisissant noir et blanc au ratio 4 :3. Oscar Diggs, dit « Oz », est un magicien de fête foraine et un beau parleur égocentrique, réduit à se produire devant quelques badauds incrédules au beau milieu du Kansas. Bien évidemment, une tornade arrive bientôt pour arracher Oscar à son quotidien de sympathique escroc, pour l’emmener au pays d’Oz en montgolfière. Là, il rencontre deux sorcières, Théodora et Évanora, qui voient en lui le Magicien de la prophétie, venu pour régner sur le pays et les débarrasser de la Sorcière maudite. Tel Indiana Jones dans Le temple maudit, Oscar est fasciné par cette promesse de « fortune et de gloire », et accepte le défi. La véritable aventure commence…

 

Jusqu’au vertige

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Indubitablement, la première heure du Monde d’Oz porte la marque de son metteur en scène, décidé à placer son film de commande sous le signe de l’illusion. S’il n’est qu’un magicien de bas étage, sans « réels pouvoirs », Oscar n’en est pas moins passé maître dans l’art de « faire croire » à son entourage ce qu’il veut. C’est la question centrale du film, d’ailleurs posée en ces termes par la sorcière Glinda, qui voit de la bonté derrière son cynisme farceur : « Can you make them believe ? ». Impossible dès lors de ne pas voir dans le personnage d’Oscar l’alter-ego fantaisiste de Sam Raimi, créateur d’illusions accompli et maître de son petit théâtre (est-ce un hasard si le générique se compose, non pas d’arcs-en-ciels, mais d’une succession de rideaux s’ouvrant en 3D, jusqu’au vertige, jusqu’à l’hypnose même ?). Malgré le jeu trop décalé et parfois très approximatif de James Franco, dont le regard et le sourire évoquent moins la malice que l’esprit embrumé d’un fumeur de cannabis (pas étonnant que l’acteur soit si bon dans les comédies stoner comme Délire Express), le premier acte sans couleurs du film sème ce qui pourraient être les pistes d’un bijou inattendu, thématiquement proche du Hugo Cabret de Scorsese, et conforme au style vif, carburant à l’humour potache, de Raimi.

 

La scène de la tornade, en particulier, permet au cinéaste de jouer comme un ado sous ecsta avec les possibilités de la 3D : un harmonium est projeté sur le héros, des planches de bois percent de tous côtés sa nacelle… Les micro-péripéties s’accumulent jusqu’à l’épuisement, tandis que l’écran s’écarte à l’infini lors de l’arrivée à Oz, théâtre d’une vertigineuse séquence d’atterrissage qui nous fait oublier la redondance de la direction artistique, qui repompe autant l’indigeste Alice que la flore d’Avatar.

 

La revanche des sorcières

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Ce qui suit n’est malheureusement pas du même tonneau, et on comprend que cette introduction virtuose, d’une folle ambition plastique et thématique, n’est qu’un espace de liberté laissé au réalisateur au sein d’un conte de fées écrasé par le cahier des charges naïf et inoffensif des récentes productions Disney. Des personnages aussi virtuels que mignons (une petite fille en porcelaine, écho évident de la petite fille handicapée qu’Oscar se révèle impuissant à soigner au début du film ; un singe volant qui parle avec la voix de son assistant de cirque) envahissent bientôt l’écran, servant d’uniques compagnons de route à un James Franco soudain bien seul au milieu de la route de briques jaunes, perdu dans un paysage numérique faite de chromos sans relief (un comble vu le format expérimenté ici pour la première fois par le réalisateur), spectateur passif de l’affrontement entre trois sorcières rejouant bizarrement le scénario de La revanche des Sith.

 

Les ravissantes Rachel Weisz, Mila Kunis et Michelle Williams ne déméritent certes pas dans des rôles paresseusement (d)écrits. Mais leur lutte intestine n’a guère d’intérêt, tout comme la guerre qu’elles se déclarent aux deux tiers du film. Pourquoi, au nom du Ciel, les films de fantasy post-Seigneur des anneaux sont-ils tous aussi obsédés par l’idée qu’une bonne histoire se termine toujours par une grande bataille ? Le monde créé par Frank Baum possède pourtant sa propre singularité, explorée à travers une trentaine de romans officiels et dérivés, et même une comédie musicale (Wicked). Mais non, Joe Roth, en producteur adepte des formules éprouvées, choisit de photocopier une fois de plus le même script. Ce faisant, Oscar en devient encore moins sympathique, le film échouant à présenter (spoiler alert) le futur magicien d’Oz comme autre chose qu’un opportuniste un brin vicelard. Que Raimi le montre triompher de l’adversité grâce à une pluie d’effets spéciaux artisanaux est une maigre consolation (même si les spécialistes des VFX actuellement en lutte contre Hollywood apprécieront l’analogie).

La griffe de Sam

 

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Le monde d’Oz conserve un cachet artistique inespérée pour un produit aussi calibré, et cela on le doit à Raimi ; à sa caméra folle, observant en de brusques mouvements de caméra les premiers pas d’Oscar dans ce monde imaginaire ; à ses incartades horrifiques toutes entières contenues dans les personnages de sorcières maléfiques dont les transformations évoquent à la fois le Bouffon vert et la vieille gitane de Jusqu’en enfer ; à sa maîtrise du grand spectacle enfin, développée dans les Spider-Man et qui empêche le film de devenir dans ses pires moments un sous-Narnia, croulant sous le poids de gags foireux, d’émotion téléguidée et de chansons de Mariah Carey. Oui, Mariah Carey. Entendre la sirupeuse diva dans un film de Sam « the man » Raimi ? Décidément, Le Monde d’Oz, partagé entre émerveillement et consternation, est un projet bien curieux.

Note BTW


3Le Monde fantastique d’Oz (Oz the Great & Powerful)

De Sam Raimi / 2013 / USA / 130 minutes

Avec James Franco, Mila Kunis, Michelle Williams

Sortie le 13 mars