Il n’y a même pas un an, Jake Gyllenhaal subjuguait tous les spectateurs de Night Call, exploration nocturne d’un Los Angeles moderne, qu’il portait littéralement sur ses épaules en jouant un charognard des médias promoteur de sa propre ascension. Orbites creusées, visage livide, silhouette décharnée, notre cher Donnie Darko était si bon que sa prestation nous restait encore, des mois après, en mémoire. Avec La rage au ventre, Gyllenhaal tente la spectaculaire manœuvre dite du « ChristianBaling ». De caméraman rachitique, le comédien est passé en quelques mois à un physique de boxeur mi-lourds, le cheveu court, les pectoraux compressés et les veines saillantes. Une transformation spectaculaire qu’il a tout loisir d’exhiber dans ce drame sportif qui se veut rugueux et émouvant à la fois.

Dans le nouveau film d’Antoine Fuqua (Equalizer et La chute de la Maison Blanche rien que ces deux dernières années), Gyllenhaal incarne Billy Hope, un champion du monde au palmarès immaculé. Hope, qui porte bien son nom, est en effet un orphelin et un ex-taulard dont la rage intérieure sert de principal carburant à ses victoires, qu’il gagne rarement sans faire couler le sang. Hope ressemble en fait à une version modernisée de Rocky Balboa, comme lui un enfant de la rue ayant tapé le sac dans des salles miteuses avant de décrocher la timbale. Comme lui aussi, son vrai sparring partner c’est sa femme, Maureen (Rachel McAdams) qui « prend toutes les décisions » et s’occupe de leur fille Leila. La rage au ventre a plus d’une fois de faux airs de Rocky III, l’œil du tigre, puisque le film démarre alors que Hope est au sommet de sa carrière, et s’apprête à connaître une chute spectaculaire. Après un drame affreux, le boxeur perd pied, son argent, la garde de sa fille, sa ceinture de champion… Rapidement, tous les éléments sont en place pour une grande histoire de rédemption, grâce entre autres à l’intervention d’un entraineur à l’œil de verre nommé Tick (Forest Whitaker).

Amour, drame et malchance

La Rage au ventre : Gyllenhaal, acteur poids lourd

La boxe est devenue un sport éminemment cinématographique parce qu’elle permet d’illustrer littéralement les concepts de rédemption, de dernière chance et de résilience face à l’adversité. Les meilleurs représentants du genre transcendent l’aspect purement pugilistique de la discipline, pour y faire germer des émotions plus subtiles, plus profondes qu’un simple bourre-pif décisif. Le script de Kurt Sutter, créateur de Sons of Anarchy qui n’a rien perdu de son appétit pour les personnages romantiques et ultra-violents, n’hésite ainsi pas à mettre les deux pieds dans le drame le plus noir pour secouer son audience et lui faire prendre fait et cause pour Hope. De manière assez surréaliste, les épreuves qu’il doit surmonter s’accumulent de façon soudaine, presque comique (le revirement de son « ami de longue date » et manager, joué par 50 Cent, est si prévisible et caricatural qu’il semble sorti d’un comic book) et la jouissance du scénariste cochant une à une les cases du parfait mélo – la famille brisée, les amis qui s’éloignent, la société qui s’acharne, et même le coach privé de gloire – est presque palpable. C’est gros, et pourtant, ça marche.

[quote_left] »Si La rage au ventre prend occasionnellement aux tripes, c’est à 100 % grâce à Jake Gyllenhaal. »[/quote_left] D’une part parce que, s’il est loin d’être un réalisateur doté d’une grande vision de son art, Fuqua est en tout cas un bon faiseur, et il sait délester La rage au ventre de ces scènes en trop et ces moments de flottements inutiles qui dilueraient la tension parcourant tout le film. Ensuite parce que ce savoir-faire lui permet de comprendre que le seul et unique facteur de réussite d’un film de ce genre, c’est la performance de son acteur principal. Pensez un instant qu’Eminem, présent dans la BO, aurait pu incarner Billy Hope : riez maintenant en comparant cette idée avec la prestation scotchante que livre Gyllenhaal. C’est bien simple : l’acteur est présent dans absolument toutes les scènes, et la précision de sa performance, physique ou autre, n’est pas un seul instant prise en défaut. Aussi cliché que soit son personnage d’écorché vif apprenant la dure réalité de la vie auprès d’un vieux coach et de sa fille philosophe, Gyllenhaal parvient à rendre Hope crédible et attachant. Si La rage au ventre prend occasionnellement aux tripes, c’est à 100 % grâce à lui.

Dans les règles de l’art

La Rage au ventre : Gyllenhaal, acteur poids lourd

Pour autant, il serait malhonnête de faire passer le film pour ce qu’il n’est pas : en dehors de son côté « Rocky gangsta » et de son twist initial (sacrifié par la bande-annonce, malheureusement), La rage au ventre n’a pas tout à fait la grâce ou l’originalité qui caractérise les classiques du film de boxe comme Million Dollar Baby ou Ali. S’il fait longtemps croire qu’il va éviter les lieux communs du genre, en délaissant pendant longtemps les scènes de combats pour privilégier l’étude de caractères, le scénario se repose en grande partie sur des ficelles narratives aussi usées que les cordes d’un ring des bas-quartiers. Moins pimpants que chez Stallone, les entrainements en musique sont de la partie, tout comme le méchant imbuvable servant de cible à abattre dans le match final, les commentateurs explicitant tous les enjeux des rencontres en voix off, les techniques bizarres mais inédites qui permettent à l’outsider de surprendre son adversaires, etc… La liste de courses de Sutter et Fuqua est remplie, mais le film, aussi classique qu’il soit, garde un certain panache : la mise en scène est sérieuse et parfois étonnante de maîtrise, l’ambiance est plutôt à la retenue qu’à l’épate bling-bling. Et puis surtout : Gyllenhaal. Vraiment.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatre sur cinq

La Rage au ventre (Southpaw)
D’Antoine Fuqua
2015 / USA / 123 minutes
Avec Jake Gyllenhaal, Forest Whitaker, Rachel McAdams
Sortie le 22 juillet 2015
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