Lorsqu’il a été présenté en mai dernier au Festival de Cannes, Les Cowboys, avec son titre mystérieux, apparaissait déjà comme une œuvre brûlante d’actualité : il y est question de radicalisation, de djihadisme, de plongée dans les méandres des réseaux terroristes intra et extra-européens. Une thématique qui inonde littéralement les écrans et nos esprits désormais. Même s’il se déroule pour une bonne partie dans les années 90, le film constitue un reflet direct de notre époque, en passant de l’autre côté du miroir des journaux télévisés, des rapports d’enquête et des prises de position politiques. Les Cowboys, parce qu’il concrétise le passage à la réalisation du scénariste attitré de Jacques Audiard, Thomas Bidegain (par ailleurs devenu « script doctor » officieux d’un paquet de gros projets français, comme Saint-Laurent), ne pouvait être qu’un film humaniste, inquiet, accroché aux basques de ses personnages et flirtant sans prévenir avec le film de genre.

Parce qu’il a bien évidemment été pensé et écrit bien en amont des événements de janvier et novembre 2015, Les Cowboys ne peut endosser un rôle de catharsis héroïque et globale, ou venir panser les plaies d’un peuple en deuil. L’actualité rend le film pertinent, mais le film s’apprécie avant tout comme une œuvre feuilletonnante et passionnante, qui emprunte des détours narratifs étonnants et cultive un ton éloigné de tout discours politique rentre-dedans. Bidegain n’est pas Oliver Stone, et Les Cowboys n’a aucun compte à régler avec la réalité.

Radicalisation, incompréhension, obsession

Les Cowboys : sur la piste des djihadistes

Même s’il s’ouvre sur les vallées embrumées de l’Ain, Les Cowboys ne porte pas son nom pour rien : les héros de l’histoire sont une famille soudée et unie dans son amour de la country et des Stetson. Alain, le père (François Damiens) pousse la chansonnette en fredonnant le seul air qu’il maîtrise, Tennessee Waltz, tandis que sa femme et ses deux enfants s’amusent dans une kermesse au bord d’un lac. Et puis, au crépuscule, Kelly (Iliana Zabeth), la fille, disparaît. Évanouie dans la nature. Le doute plane sur les raisons de ce drame (kidnapping ? fugue ?), avant que la famille ne remette finalement les pièces de son puzzle en place. Kelly est partie avec son petit ami à l’étranger. Loin, très loin, probablement au Yemen ou en Afghanistan, peut-être aux côtés des Talibans. Alain refuse de la laisser sortir de leur vie, et met tout en œuvre, avec son fils Kid (la surprise Finnegan Oldfield), pour la retrouver, dans une quête chimérique qui va s’étendre sur plus d’une décennie.

[quote_left] »Finnegan Oldfield est une révélation qu’on ne voit d’abord pas venir, avant que Bidegain ne lui déroule le tapis rouge. »[/quote_left] L’étonnement ressenti devant Les Cowboys, conçu comme une relecture contemporaine de La prisonnière du désert troquant Monument Valley contre les montagnes alpines et afghanes, vient de la réalisation que cette histoire se déroule bien dans un monde pré-11 septembre. Cette famille, détruite par la désertion d’une fille sans histoire, partie vers un monde dont ses parents ne connaissent ni la langue, ni la culture, ce pourrait être la France au tournant des années 2000 et 2010, réalisant qu’une partie de sa jeunesse est attirée inexorablement par la radicalisation, le changement d’identité, et pourquoi pas l’engagement guerrier. La question du « pourquoi » peut se poser aujourd’hui. Mais dans les années 90 ? Cela ne pouvait être que plus incompréhensible encore, et c’est ce besoin de comprendre, sans juger (« Je ne suis d’aucun côté, je cherche juste ma sœur », explique le Kid au cours de sa dangereuse aventure), qui motive cette fuite en avant d’Alain et son fils, saisis par une mise en scène ménageant autant de moments d’urgence que de réflexion.

Une quête à perdre haleine

Les Cowboys : sur la piste des djihadistes

D’un scénario foisonnant co-écrit avec Noé Debré, son partenaire sur Dheepan, Bidegain tire un film sans esbroufe, mais rigoureux, composé avec soin autour d’une narration en chapitres, organisés comme autant de passages de flambeaux entre les protagonistes de l’histoire. En bon auteur, Bidegain part d’un univers intime, de la cellule familiale, pour étendre au fil des minutes le cadre et l’ampleur de cette quête. Les Cowboys se transforme même en film d’aventure à mi-parcours, l’apparition de la « star » invitée John C. Reilly concrétisant ce besoin d’aborder les rivages du film de genre pour rendre compte de l’absurde dangerosité de l’obsession d’Alain et du Kid. Autant le dire, cette ambition-là fait plaisir à voir dans le cadre d’un film « à dossier », parce qu’elle permet de passer outre les implications purement thématiques de l’histoire (les raisons profondes du choix de vie de Kelly ne sont jamais explicitées) pour créer de vrais personnages de cinéma, dont nous pouvons comprendre la souffrance insoignable ou le besoin d’émancipation.

C’est sur ce point que Les Cowboys convainc le plus et parvient à faire oublier, par exemple, la naïveté et la pesanteur de sa sous-intrigue romantique, sincère, mais forcée (c’était déjà un point faible observé dans Dheepan, qui est un peu le cousin inversé du film). Tous les acteurs du film sont formidablement dirigés, du figurant apparaissant dans des scènes en Belgique ou en Afghanistan au duo François Damiens / Finnegan Oldfield. Le premier, silhouette massive et regard désespéré, démontre encore une fois avec puissance qu’il peut aspirer à des rôles dramatiques très éloignés de son image de comique au drôle d’accent. Le second, aperçu dans Ni le ciel ni la terre, est une révélation qu’on ne voit d’abord pas venir, avant que Bidegain ne lui déroule vraiment le tapis rouge. Dans le genre comédien à fleur de peau dont on observe sans relâche la gestuelle et les regards fiévreux, Oldfield n’a sans doute rien à envier à l’un de ses compères déjà césarisés, Kevin Azaïs (Les Combattants). Son éclosion fait partie des belles choses à découvrir dans ce film pas encore aussi implacable qu’un Prophète, mais déjà très important pour la suite de la carrière de Bidegain.

[toggle_content title= »Bonus » class= »toggle box box_#ff8a00″]Entretien de Thomas Bidegain au Huffington Post.[/toggle_content]

Crédits photos : © Antoine Doyen

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Quatre sur cinq
Les Cowboys
De Thomas Bidegain
2015 / France / 114 minutes
Avec François Damiens, Finnegan Oldfield, John C. Reilly
Sortie 25 novembre 2015
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