Comme l’a encore récemment prouvé Gone Girl, les médias américains ne sont jamais les derniers lorsqu’il s’agit de se laisser aller au pire. Un vieil adage indique que lorsque la société va mal, elle a soif de sang, d’images chocs, malsaines et cruelles. Sur ce principe cynique, certaines émissions n’hésitent pas, sous couvert de liberté d’informer et/ou de distraire, à bombarder les téléspectateurs de scènes dramatiques particulièrement crues.
Night Call (en VO Nightcrawler) présente un miroir à peine déformé de notre époque. Pour renforcer son audience, une chaîne de télévision locale à Los Angeles s’en donne à cœur joie dès poltron minet. Force est de constater que la méthode racoleuse fonctionne et des milliers de téléspectateurs restent bêtement fascinés devant cet enchaînement de violence sordide. C’est dans ce contexte déplorable qu’un charognard apparaît, à l’affût de viande fraîche. Fruit d’une époque et d’un contexte social sans repères moraux, Louis Bloom (Jake Gyllenhaal) est un monstre contemporain, sans passé, sans proches et surtout sans limites. Alors qu’il cherche un moyen de subvenir à ses besoins, il rencontre par hasard une équipe de télévision free-lance qui filme les ravages d’un accident de la route. Avec un aplomb renversant, il décide d’apprendre à filmer et de vendre ses sujets au plus offrant. Il sait qu’il peut faire ce travail mieux que personne, car sa conscience ne le tourmente guère et il ignore la déontologie d’un métier qui n’est pas le sien. Ainsi débute l’ascension froide et calculée d’un personnage en marge de la société.
Premier film, première bombe
Après avoir signé des scénarios d’envergure (Jason Bourne : l’Héritage, Real Steel), Dan Gilroy a décidé pour la première fois de mettre en scène lui-même son histoire. Il a d’abord choisi son épouse Rene Russo (Thor : Le Monde des ténèbres, Two for the Money) pour incarner la productrice de l’émission qui diffuse les images de Louis. Avec Jake Gyllenhaal, elle forme un duo glauque, interdépendant, jusqu’à un basculement des valeurs délicieusement amoral, qui s’amorce lors du plus étouffant rendez-vous galant. Pour apporter un peu d’humanité et d’air frais à une atmosphère qui en manque cruellement, l’acteur britannique Riz Ahmed (Four lions), qui joue le sous-fifre de Louis, s’avère touchant de justesse et de fragilité.
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Tout comme Matthew McConaughey avant lui, Jake Gyllenhaal a choisi depuis en gros Prince of Persia de se tourner vers des films à l’orientation plus adulte, comme l’attestent ses deux projets tournés avec Denis Villeneuve, Prisoners et Enemy. Pour les besoins de Night Call, il a laissé tomber la proposition de Disney de jouer dans Into the woods et perdu (ça vous semble familier ?) pas moins de 9 kilos. Dès sa première apparition, la silhouette de l’acteur dérange et interpelle. Les traits émaciés, les yeux écarquillés et creusés, Jake Gyllenhaal crée un personnage aux confins du bizarre et de l’indifférence. Quand soudain, il prend la parole, c’est pour livrer un étonnant et non moins déplacé discours pseudo-managérial, digne d’un responsable de recrutement. Sans prévenir, Louis tisse sa toile à une vitesse vertigineuse et soumet ses interlocuteurs à sa volonté, sans que ceux-ci ne puissent esquisser un mouvement de défense. Night Call présente au spectateur le Mal incarné, qui n’existe que pour se nourrir des douleurs et des espoirs déçus de ceux qui l’entourent. S’il est difficile de s’attacher à ce personnage abject, le témoin n’en reste pas moins captivé de bout en bout par ses actions machiavéliques, parfaitement soutenues, il faut le dire, par un Jake Gyllenhaal transfiguré.
Vivre et mourir à L.A.
Amoral jusqu’à la consternation, Night Call monte peu à peu en puissance, avec une précision minutieuse. La mise en scène, comme le scénario, restent savamment dosés pour mettre en avant un dernier ingrédient : un suspense haletant. Petit bijou de tension dramatique, la scène de la fusillade dans le diner et de la course-poursuite absolument démente qui suivent constituent de parfaits exemples de la créativité et de l’audace d’un Dan Gilroy transcendé par son sujet. Le réalisateur réussit à filmer un Los Angeles fascinant en harmonisant parfaitement des sources d’inspirations nobles et assumées : Nicolas Winding Refn et son Drive, le Michael Mann de Collatéral, des influences qui sautent particulièrement aux yeux la nuit, lorsqu’il fait rouler Louis et son « employé » à travers la ville à recherche d’un fait divers « avec du sang ». Le jeune réalisateur a su s’entourer pour son premier essai d’une solide équipe composée notamment de Robert Elswit (The Town, Duplicity) à la photographie et de Naaman Marshall à la direction artistique (La Planète des singes : l’affrontement, John Carter). Le résultat obtenu, tout en nuances de gris métallique et de bleu glacé, est à la fois atmosphérique et mémorable.
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Night Call
De Dan Gilroy
2014 / France / 197 minutes
Avec Jake Gyllenhaal, Bill Paxton, Rene Russo
Sortie le 26 novembre 2014
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