Prey : un bon Predator accroché au passé

par | 2 septembre 2022

Prey : un bon Predator accroché au passé

En rebattant les cartes temporelles de la saga Predator, Prey innove, mais prend sinon bien peu de risques.

Le succès d’une franchise tient parfois à peu de choses. Dans le cas de Predator, c’est la pugnacité et la clairvoyance du réalisateur John McTiernan, confronté à des conditions de tournages harassantes, un premier creature design aux fraises et un scénario perfectible, qui a permis à la production de Joel Silver de ne pas terminer dans les ronces. Mieux : grâce aux coups de génie de Stan Winston pour imaginer le look mémorable du chasseur alien, à un Schwarzenegger affûté et à la mise en scène estomaquante de clarté et de vigueur de McT, Predator est devenu un énorme carton, engendrant des comic books, jeux vidéo, trois suites au cinéma et, hem, deux spin-offs. Rien qui ne puisse toutefois surpasser ou même égaler la réussite du premier opus. Logique, dans ces conditions, que Prey ait avancé sous les radars. Un casting sans stars, un concept différent, et pour finir une sortie (remarquée) au cœur de l’été directement sur la plateforme familiale de Disney : jusqu’au bout, Prey a joué la carte de la modestie, alors que ce nouvel opus était sans doute ce qui pouvait arriver de mieux à une saga suscitant en gros une indifférence polie.

Retour aux sources de la chasse

Prey : un bon Predator accroché au passé

Le concept du film imaginé par Dan Trachtenberg (10 Cloverfield Lane) ne vous est plus inconnu : la saga délaisse notre monde contemporain pour partir 300 ans en arrière, dans le quotidien d’une tribu Comanche vivant de la chasse et dont le territoire est menacé par les colons européens. Un passé familier au cœur duquel débarque, de manière incongrue, un Predator en pleine partie de chasse interstellaire. Comme ses petits frères des siècles à venir, ce colosse de l’espace n’est pas là pour plaisanter et il a amené tout plein de gadgets tranchants avec lui pour décimer la faune et la flore des forêts amérindiennes. Et tous les humains équipés d’une arme qui croiseront sa route par la même occasion. Petite sœur du meilleur chasseur de sa tribu, en quête de reconnaissance de ses talents de pisteuse dans un monde qui ne confère qu’une seule place possible aux femmes (dans le tipi !), Naru (Amber Midthunder), est la première à sentir que cette menace fait peser un grand danger sur les siens. Plus maligne et observatrice que ses compères, Naru va devoir se montrer impitoyable pour devenir « la prédatrice du prédateur »…

« À partir de l’arrivée des frenchies, Prey enclenche un mode « furie ». »

Contrairement aux différents opus de la franchise des Alien, les Predator n’ont pas vocation à complexifier inutilement leurs intrigues ou même leur mythologie. Prey constitue peut-être le meilleur exemple de cette tendance : afin de redonner un peu de vie à cet univers, Trachtenberg est paradoxalement revenu à l’essentiel, à la formule dégraissée de tout élément superflu du film de McTiernan. Même si le décor, la langue, l’environnement et la technologie ont changé, Prey se caractérise par la linéarité extrême de son script : deux chasseurs sachant chasser se font face jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un(e). Un choix parfois regrettable (la progression narrative est sans surprise, sans compter que contrairement au premier film, le spectateur est déjà au fait de la nature de la menace invisible qui poursuit Naru), mais souvent payant, puisqu’il permet de se concentrer sur l’aspect dépaysant du contexte historique et de personnages sommairement brossés mais attachants. Peu de dialogues sont nécessaires pour saisir ce qui agite la fière Naru, guerrière indépendante à la fois soucieuse des traditions et avide de les bousculer. Accompagnée d’un chien pour lequel nous tremblons plus d’une fois, Amber Midthunder, membre d’une nation Sioux du Montana, explose de charisme dans un rôle très physique, bien aidée par un script qui surligne son côté femme forte en avance sur son temps.

Action généreuse et fan service

Prey : un bon Predator accroché au passé

Côté réalisation, Trachtenberg avait déjà démontré avec 10 Cloverfield Lane son flair pour spatialiser et rythmer l’action sans jamais céder à la démonstration de force. Bien aidé par la photo évocatrice et majestueuse de Jeff Cutter, le réalisateur applique la même recette à Prey, le film étant conçu, après les nécessaires scènes d’exposition, comme une succession de moments de suspense et de scènes brutales et sanglantes d’affrontement, dans lesquelles l’avantage va jusqu’au bout à l’invincible Predator – qui arbore un look plus tribal et baveux, tout à fait réussi. Tout est dans la gradation, puisque l’alien s’en prend d’abord aux animaux qui le défient (serpents, loup, ours… De quoi faire frémir la SPA) avant de régler leur compte aux chasseurs Comanches, puis à une troupe de colons français à l’accent indescriptible. À partir de l’arrivée des frenchies, Prey enclenche un mode « furie » qui finit par tourner un peu à vide. Chorégraphiées avec style et imagination, les escarmouches gore où notre grand méchant jouent les 007 de la mise à mort finissent par devenir répétitives et cartoonesques, d’autant qu’elles carburent généreusement au sang numérique. L’escalade se termine sur un affrontement final gâché par quelques facilités inattendues.

Tout au long de sa route, Prey n’hésite enfin pas à cligner de l’œil, plus ou moins lourdement, à son prestigieux prédécesseur, comme s’il n’était pas possible de vivre ailleurs que dans l’ombre du modèle d’origine. Cela va d’un passage boueux évocateur à une réplique carrément reprise telle quelle : du fan service basique dont on se serait bien passé, surtout lorsque l’on voit avec quel soin Trachtenberg a tenu à emballer une expérience différente, respectueuse de son bagage culturel (ce n’est pas pour rien si le film, interprété par un casting amérindien, peut être visionné en version comanche), et qui aurait tout aussi bien marché si son antagoniste n’avait pas été un rasta de l’espace collectionneur de crânes.