Précédé par une série d’affiches très graphiques, mettant en avant un titre de film qui est aussi un nom connu de tous les Américains, Deepwater (Deepwater Horizon sous son nom complet) n’a pas rencontré le succès escompté lors de sa sortie en salles l’an passé. Malgré deux nominations aux Oscars techniques, des critiques dans l’ensemble très positives, le film de Peter Berg est un semi-échec financier pour Lionsgate, à peine rentrée dans ses frais à l’international.

Deepwater poursuit et amplifie une tendance pourtant claire dans la filmographie de son réalisateur, qui après s’être perdu dans la machinerie et abrutissante des blockbusters estivaux comme Hancock et Battleship, s’est spécialisé dans la reconstitution d’histoires vraies. Son précédent Du sang et des larmes, en apparence un film de guerre classique, racontait en creux la déroute d’un pays tout entier, sacrifiant par dizaines des escouades de jeunes soldats surdoués, mais mal soutenus dans des opérations vides de sens. Son nouveau projet, Traque à Boston, actuellement en salles, relate les événements ayant précédé et suivit les attentats de Boston, sur le terrain, à hauteur d’Américain moyen. Les trois films ont en commun une forme d’immédiateté, un souci obsessionnel de réalisme… et Mark Wahlberg, figure de plus en plus tutélaire (et surprenante) du working-class hero moderne, plein de sang-froid face aux calamités qui s’abattent sur lui et les siens.

Coté film : en direct de la catastrophe

Nous avons peut-être oublié cet événement de ce côté de l’Atlantique, mais aux États-Unis, le désastre écologique sans précédent représenté par la marée noire qui a envahi le golfe du Mexique, en 2010, est toujours vivace dans les esprits. Pendant presque trois mois, un feuilleton quasi quotidien a rivé les Américains à leur télé : après l’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, il a fallu 87 jours pour que les techniciens de parviennent à stopper le déversement de pétrole dans l’Océan Pacifique. Deepwater, le film, ne s’intéresse (malheureusement) pas à ces terribles conséquences, mais à la cause elle-même de cet événement : la destruction accidentelle, inédite à cette échelle, d’une plate-forme pourtant ultra-moderne, qui a causé la mort de 11 personnes.

Basé sur un article du New York Times, le scénario de Matthew Michael Carnahan et Matthew Sand décrit, pratiquement en temps réel, les dernières heures avant la catastrophe, en suivant le changement d’équipe et l’arrivée sur les lieux d’un des chefs électriciens, Mike Williams (Mark Wahlberg). Son supérieur Jimmy Harrell (Kurt Russell, buriné comme il faut) se confronte dès son arrivée aux desiderata de leurs supérieurs de BP (dont John Malkovich, au jeu toujours aussi téléphoné) : agacés par les difficultés techniques et les problèmes de rentabilité de la plate-forme, ils veulent accélérer le perçage des puits, quitte à jouer avec la sécurité des procédures. Le 20 avril, les différences de pression créées par ces manœuvres associées aux déficiences techniques de l’équipement entraînent l’explosion complète de la plate-forme. Pour Mike et ses collègues, la plate-forme est devenue un enfer jonché de flammes et de tôle en chute libre, dont il faut s’échapper au plus vite…

[quote_center] »L’absence d’interactions marquantes entre les protagonistes freine notre implication dans ce récit trop descriptif pour son bien. »[/quote_center]

Pour un film adhérant aussi sincèrement à l’imagerie du film catastrophe, Deepwater s’avère curieusement dénué de toute envolée mélodramatique. Ce qui caractérise avant tout le projet de Berg, c’est la volonté de rendre hommage au professionnalisme des ouvriers du pétrole, dont on n’aurait pas soupçonné jusque-là les dangers de leur métier. Loin de la représentation fantaisiste qu’en faisait Michael Bay dans Armageddon, les hommes et les femmes à bord de Deepwater Horizon sont pour la plupart des ingénieurs et techniciens, dont le jargon et le métier nous sont livrés en pâture sans filtre explicatif. Passé un prologue familial, durant lequel une bouteille de soda sert intelligemment d’illustration scientifique des événements à venir, la mise en scène nous embarque étape par étape dans un quotidien rôdé et anti-dramatisé au possible. Wahlberg, Russell et leurs partenaires régurgitent avec conviction un glossaire de foreur qui pourra en laisser plus d’un sur le carreau, y compris quand leurs propos sont illustrés par des images de synthèse sous-marines.

Si Berg se montre aussi confiant dans ce côté immersif sans concession, c’est parce qu’il sait que le spectateur aura par la suite ce qu’il est venu chercher : un récit de survie pur et dur, rendu dantesque par la magie d’un tournage essentiellement en dur (voir plus bas) rehaussé par des effets spéciaux photoréalistes. Mais là aussi, Deepwater surprend, pas forcément pour le mieux : excepté Williams, dont nous connaissons la vie familiale, l’essentiel des ouvriers tâchant de survivre au pire scénario possible ne sont que des figurants à l’échelle de leur histoire. Ils ont beau représenter de véritables personnes, et même de véritables victimes, le scénario ne leur donne que peu de chances d’être plus que des silhouettes projetées dans tous les sens à travers le décor. Berg échoue, dans un sens, à donner corps à ses personnages autant qu’il nous donne à croire dans sa plate-forme maudite, décor labyrinthique éventré en tous sens au fil des minutes. L’absence d’interactions marquantes entre les protagonistes, tous fonctionnels, même Williams, freine quelque peu notre implication dans ce récit trop descriptif pour son bien. De même, Deepwater oublie, et c’est regrettable, de livrer un message de prévention écologique qui n’aurait pas été de trop au moment d’évoquer l’une des pires marées noires de l’histoire. C’est presque un autre film qui attend son heure, sans doute plus fourni encore en rebondissements et en jargon de « pétroleurs »…


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Deepwater (Deepwater Horizon)
De Peter Berg
2016 / USA / 107 minutes
Avec Mark Wahlberg, Kurt Russell, John Malkovich
Sortie le 15 février 2017 en DVD et Blu-ray (M6 Vidéo)
[/styled_box]


Coté bonus : aux grands chocs, les gros moyens

Exploité en Imax lors de sa sortie salles, Deepwater bénéficie d’une édition techniquement à la pointe pour sa sortie vidéo. Nommé aux Oscars dans la catégorie sonore, le film est logiquement impressionnant et rutilant lorsque les enfers se déchaînent sur la plate-forme.

[quote_left] »L’équipe de Berg a créé, au prix de mois de travail, un tiers de la vraie plateforme en taille réelle, sur le parking d’un entrepôt. »[/quote_left] L’interactivité proposée en bonus est elle tout aussi riche et éclairante, bien qu’assez formatée. Le gros morceau de chaque édition (DVD et Blu-ray) est incontestablement le making-of scindé en deux parties, « La plateforme infernale » et « Les secrets de Deepwater ». Comme souvent avec ce type de productions à 100 millions de dollars, l’expression « industrie du cinéma » prend tout son sens lorsqu’on découvre les coulisses de la production. En effet, Deepwater peut se targuer d’être sans doute le film ayant nécessité le plus gros décor artificiel en dur de l’histoire : l’équipe de Berg a créé, au prix de mois de travail, un tiers de la vraie plateforme en taille réelle, sur le parking d’un entrepôt. Un exploit colossal, puisque ce décor (qui n’en est plus vraiment un, à ce stade) accueillait un véritable héliport, fonctionnel et correspondant aux normes en vigueur pour recevoir, face caméra, un appareil de transport. Côté studio, la production a peaufiné avec le même luxe de détails les différents décors de l’équipement, des différentes salles des machines aux salles de commandes : tout devait être dur, mais également destructible pour les besoins de l’action. À ce stade, ça n’est plus de l’art, mais une entreprise de BTP qu’il a fallu mettre provisoirement en place… Le résultat à l’écran est bluffant, puisqu’on jurerait que le casting évolue sur une plateforme maritime réelle, alors qu’il a en réalité rarement été en mer – même les sauvetages sur l’eau ont été filmés en bassin.

Beaucoup plus anecdotique, le disque contient aussi un documentaire pompeux et gonflant sur les « métiers à risque », qui n’a que peu à voir avec l’univers de Deepwater et est surtout réalisé comme une pub de cabinet d’assurance. L’interactivité est enfin complétée par une heure d’interviews avec Peter Berg et ses acteurs, que nous n’avons pas pu visionner – elles sont exclusives à la version Blu-ray.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Bonus de Deepwater (édition Blu-ray)
Making of (42 minutes)
Interviews avec le casting (50 minutes)
Entretien avec Peter Berg (17 minutes)
Documentaire sur les métiers à risques (15 minutes)
[/styled_box]