Séance de rattrapage : La proie d’une ombre

par | 23 août 2022

Séance de rattrapage : La proie d’une ombre

Passé inaperçu en salles puis en VOD, La proie d’une ombre reste pourtant un thriller fantastique qui sort de l’ordinaire.

Même s’il a longtemps roulé sa bosse dans des films « omnibus » comme The Signal, V/H/S et (surtout) 666 Road, David Bruckner s’est surtout fait remarquer des amateurs de cinéma fantastique à l’occasion de la sortie sur Netflix du film Le Rituel. Une production britannique rachetée par la plateforme qui réinventait avec panache la figure éculée de la menace invisible en forêt, en y ajoutant une dose de folk horror et de dissertation sur la masculinité toxique. La suite logique pour Bruckner, aidé de ses deux scénaristes Ben Collins et Luke Piotrowski, c’était le passage aux studios hollywoodiens avec une star en tête d’affiche. Ce fut chose faite dès 2020 avec La proie d’une ombre, VF lambda du plus aguicheur The Night House, long-métrage emmené par l’excellente Rebecca Hall, qui quand elle ne s’essaie pas à la réalisation avec le brillant Clair/Obscur, continue de démontrer sa versatilité devant la caméra.

Devine qui vient te hanter ce soir

Séance de rattrapage : La proie d’une ombre

Projeté à Sundance en 2020, La proie d’une ombre fait partie de ces productions qui ont souffert des difficultés liées au Covid et à la fermeture des cinémas. Sorti à l’été 2021 aux USA, puis à la rentrée en France, le film a réalisé une carrière en salles à pas feutrés, au point de n’être diffusé par la suite qu’en VOD. On est loin du succès (pré-pandémie certes) rencontré par exemple par Invisible Man. Tout comme le film de Leigh Wannell, The Night House confronte une jeune femme vulnérable à la présence fantomatique de son ancien compagnon. Dans le cas de Beth (Rebecca Hall), toutefois, les circonstances sont différentes : son mari Owen s’est suicidé d’un tir de pistolet, au milieu du lac au bord duquel le couple habitait. Les sentiments contraires se mêlent dans l’esprit de la veuve : incompréhension, colère, tristesse. Beth pourrait quitter la belle maison que son amoureux avait bâtie, mais rapidement, elle se met à sentir une présence dans la demeure. Des murmures qui pourraient être la voix d’Owen, des visions et des sursauts qui pourraient tout aussi bien des rêves. En fouillant dans les affaires de son mari, Beth découvre les plans d’une maison pensée comme le miroir inversé de la leur. Sa meilleure amie Claire (Sarah Goldberg) a beau tenter de la dissuader, Beth s’entête dans sa quête de réponses, pour comprendre le geste d’Owen et déterrer les secrets qu’il cachait…

« Le film est à la fois un drame psychologique sur un deuil impossible, un ­– classique – thriller du samedi soir avec ses proverbiaux cadavres dans le placard et un film de fantômes aussi éthéré que sophistiqué. »

Découvrir que celui que l’on aimait, que l’on idéalisait même, cachait de terribles secrets qui pourraient soudainement devenir une menace mortelle : voilà une idée de scénario pas vraiment nouvelle dans le film de genre. Ce canevas familier, presque rassurant pour le spectateur enclin à percer le mystère en entrant en empathie avec l’héroïne, Bruckner s’en sert dans La proie d’une ombre comme d’un chausse-trappes narratif. Un terreau solide sur lequel il s’appuie pour réaliser plusieurs films en un : un drame psychologique sur un deuil impossible (derrière son apparente froideur, Beth perd-t-elle pied à cause de ce décès brutal ? Imagine-t-elle ces bruits, ces visions ?), un ­– classique – thriller du samedi soir avec ses proverbiaux cadavres dans le placard et ses voisins qui en savent trop, et un film de fantômes aussi éthéré que sophistiqué, mêlant rites occultes, visions menaçantes utilisant superbement le trompe-l’œil et utilisation efficiente du silence et de l’espace négatif. Bruckner cède sur la fin à des scènes plus explicatives, qui laissent peu de place au doute, mais a le bon goût de ne pas servir une résolution sur un plateau au spectateur. Même s’il en a le look et les ingrédients, La proie d’une ombre n’est pas un divertissement frissonnant clé en main : ses questionnements sur le deuil, l’au-delà, la perméabilité entre le monde des vivants et des esprits perdurent bien après son ultime plan, qui comme l’ensemble du film n’en fait jamais trop.