Il est désormais un peu inutile de s’attarder sur l’histoire récente du studio Ghibli. D’abord parce que cela a déjà été fait il y a quelques mois dans ce dossier en forme de point d’interrogation (nous avons eu depuis les réponses à nos questions, malheureusement), et aussi parce que la responsabilité tombée sur les épaules de Souvenirs de Marnie, celle d’être l’ultime épitaphe d’un studio vénéré dans le monde entier, pèse déjà comme une ombre bienveillante, mais écrasante qui risque d’engloutir les qualités, bien réelles, du film.

Bien sûr, celui-ci n’affiche pas les mêmes ambitions que les dernières œuvres de Miyazaki et Takahata, Le vent se lève et Le conte de la princesse Kaguya. Hiromasa Yonebayashi, formé en interne comme on dit, n’en est qu’à son deuxième long-métrage après Arrietty, et sa proposition, l’adaptation d’un roman britannique à succès de Joan Robinson, a quelque chose de plus immédiatement accessible, « exportable » que les derniers films de ses aînés.

La maison de tous les possibles

Souvenirs de Marnie : ce n’est qu’un au revoir

Il est de notoriété publique que Hayao Miyazaki, amoureux du livre d’origine, a longtemps cherché à adapter lui-même à l’écran Souvenirs de Marnie, avant que la réalisation ne soit finalement confiée à Yonebayashi. De fait, sur ce 21e opus produit au sein de Ghibli, aucune des deux têtes pensantes du studio n’a été impliquée. Derrière l’esthétique colorée et la ligne claire caractéristique du studio, se profile un sentiment pourtant partagé par leurs derniers films, celui d’une profonde tristesse. Souvenirs de Marnie, sous ses oripeaux sentimentaux, n’a rien d’un film facile, et s’il parle bel et bien de l’enfance et d’imaginaire, il le fait sans naïveté déplacée.

[quote_center] »Yonebayashi a su s’approprier ce récit propice aux interprétations sans en esquiver les plus sombres contours. »[/quote_center]

C’est d’ailleurs une constante dans les films de Ghibli : les couleurs ont beau être éclatantes, les personnages attachants, car croqués avec une humanité débordante, le propos, lui, n’a jamais rien de futile. Souvenirs de Marnie ne déroge pas à cette règle : comme Arrietty, il s’agit à la fois d’un conte fantastique et d’un récit d’apprentissage. Anna, jeune fille timide passionnée de dessin, doit se retirer au nord du Japon, chez des parents éloignés du côté de Hokkaïdo, pour y soigner son asthme. Solitaire et renfermée, Anna découvre au fil de ses balades sur l’île une demeure abandonnée, « La villa des Marais ». Elle y aperçoit un jour une jeune fille blonde, Marnie, qui l’invite à visiter cette maison où se déroulent de fastueuses réceptions. Pourtant, Anna se rend compte que ces visions si réalistes tiennent plus du songe éveillé. Cela ne l’empêche pourtant pas de lier une amitié teintée de mystère avec l’évanescente Marnie…

Invitation au voyage

Souvenirs de Marnie : ce n’est qu’un au revoir

L’imaginaire vu comme un moyen d’évasion et une porte vers l’épanouissement personnel, l’apprentissage de la solitude dans une société où les repères parentaux s’effacent, l’importance d’une nature protectrice et menaçante à la fois : à voir étalés sur 100 minutes tous ces thèmes au cœur de Mon voisin Totoro ou du Voyage de Chihiro, il n’est pas difficile de comprendre ce qui a pu plaire à Miyazaki dans l’histoire de Souvenirs de Marnie. C’est tout le mérite de Yonebayashi d’avoir su s’approprier ce récit propice aux interprétations sans en esquiver les plus sombres contours.

Le film baigne ainsi dans une torpeur toute nippone, préférant décrire les us et coutumes d’une région isolée du Japon, dont la tranquille étrangeté fait figure de dépaysement pour la petite Anna, effrayée puis galvanisée par ce changement de paysage. Comme Chihiro, cette invitation au voyage a quelque chose de la destinée, telle cette barque qui vient silencieusement heurter une rive pour l’emmener, littéralement, dans un autre monde, une fois franchi un Styx aux allures de carte postale. Plus que le décorum, Marnie se penche avec beaucoup d’attention sur la psychologie de cette héroïne hésitante, qui doit apprendre à maîtriser ses humeurs et à vaincre ses peurs au contact d’un avatar blond de Princesse Sarah qui comme par hasard est son parfait opposé (une différence savamment accentuée par rapport au roman). Le fait d’en faire une dessinatrice, en plus de souligner son rôle de passeur d’images, la rend d’autant plus perméable à la fascination qu’exercent ces paysages de villas européennes, de verts cottages et de cimetières arborés où circulent librement les fantômes du passé.

Le temps des révélations

Souvenirs de Marnie : ce n’est qu’un au revoir

L’emballage de Souvenirs de Marnie a beau être inoffensif, le film n’en est pas donc pas moins parcouru par une insondable mélancolie, et un charme bucolique qui en font un objet enfantin et universel à la fois. De là à dire que Yonebayashi se hisse au niveau de ses mentors, il y a tout de même un large pas à franchir. Le scénario n’est ainsi pas dénué de répétitions, et l’acte central, s’il s’attache à établir une atmosphère fantastique discrète et riche de détails, se perd un peu en hésitations sans but, et ne sert qu’à différer l’heure des révélations.

Base solide sur laquelle se reposait le roman, le twist émotionnel bouclant l’aventure d’Anna, au sortir d’un long flash-back qui arrachera plus d’une larme aux plus jeunes spectateurs, achève de refermer le livre de Marnie de belle manière. Certes, au regard des précédents chefs d’œuvre du studio, Souvenirs de Marnie pourra apparaître comme un film mineur, voire inconséquent. Ce serait pourtant faire injure au soin et à la pertinence de traitement avec laquelle Yonebayashi s’est attelé à la tâche. L’aventure, pour lui, ne fait que commencer : on sera du coup curieux de la suivre pas à pas.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Quatresurcinq
Souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî)
De Hiromasa Yonebayashi
2014 / Japon / 103 minutes
Avec les voix de Sara Takatsuki, Kasumi Arimura
Sortie le 14 janvier 2015
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