The Guard : Guantanamo blues

par | 24 juin 2015 | À LA UNE, BLURAY/DVD, Critiques, VOD/SVOD

The Guard : Guantanamo blues

Une femme soldat voit ses convictions ébranlées par un détenu de Guantanamo : pitch accrocheur, mais minimaliste pour ce film porté par Kristen Stewart.

Depuis cette année, le camp américain de Guantanamo, à Cuba, où se déroule l’action de The Guard, ne retient plus qu’une centaine de détenus. On est loin du millier de personnes que comptait dans les années 2000 cette geôle créée dans la foulée du 11 septembre 2001 par l’administration Bush, pour y retenir les individus suspectés de terrorisme que les USA arrêtaient aux quatre coins du monde, sans mandats ni comptes à rendre. À quelques mois de la fin du mandat de Barack Obama, la vérité crue est pourtant là : Guantanamo est peut-être en voie de disparition, mais le camp « X-Ray » existe toujours, le Président étant confronté depuis son arrivée au pouvoir à des imbroglios judiciaires et diplomatiques empêchant le transfert de ces prisonniers. Pardon, détenus. C’est important.

Comme nous l’apprend en effet The Guard, repéré à Sundance puis au Festival de Deauville, il ne faut pas lorsqu’on parle d’eux les désigner comme des prisonniers mais des détenus. Les prisonniers doivent être traités dans le respect de la convention de Genève. Mais celle-ci, comme le reste des Droits de l’Homme, ne s’applique pas dans le camp depuis sa création. Hormis d’innombrables références dialoguées et le travail de Michael Winterbottom sur le docu-fiction The Road to Guantanamo, le cinéma ne s’était toujours pas frontalement confronté à la réalité de cette sinistre prison. Même s’il n’a bien entendu pas été tourné sur place, le premier film de Peter Sattler, réalisateur et scénariste, a le mérite de mettre un visage sur ce symbole des dérives américaines nées avec la lutte intensive contre le terrorisme islamiste. Ironiquement, il s’est inspiré de Wikileaks pour retranscrire à l’écran les méthodes et routines des militaires présents sur place depuis 2002.

Patriotisme ou humanisme ?

The Guard : Guantanamo blues

Le héros de The Guard est une femme soldat, dont le sexe n’a, et c’est rafraîchissant, pas vraiment d’incidence sur la façon dont ses frères d’armes la traitent. Avec les prisonniers, c’est une autre histoire : le soldat Cole (Kristen Stewart) débarque dans la base de Guantanamo et découvre l’hostilité de ces détenus qui ont été privés de tout, et en particulier d’un procès, pendant des années. C’est sa première affectation et Cole veut remplir sa mission au mieux, mais elle commence à questionner ses priorités lorsqu’elle se retrouve confrontée aux abus de son supérieur (Lane Garrison) et surtout à l’un des détenus, Ali (Peyman Maadi), un homme calme, sarcastique et fan de Harry Potter, qui la surnomme affectueusement « Blondie » et noue avec elle une relation étrange.

« Peter Sattler a choisi, avec The Guard, de rentrer à Guantanamo
par la petite porte. »

Plutôt que d’aborder le sujet de manière politique, engagée, Peter Sattler a donc choisi avec The Guard de rentrer par la petite porte. Exceptée une séquence de repas forcé, il n’est pas question de torture dans le film. Le prologue du film montre bien la façon dont Ali a été arrêté (ou plutôt enlevé) et les conditions de son arrivée à « Gitmo ». Mais il n’y a rien d’inédit dans ces images, qui servent plutôt à poser le contexte humain du film, qui se résume à un dialogue complexe entre deux êtres que tout sépare, jusqu’aux petites fenêtres de la cellule qui entravent leurs visages. Cole, on le comprend rapidement, est une jeune femme en rébellion venue des tréfonds du Midwest et qui comme beaucoup d’autres, espère changer d’horizon en entrant dans l’armée. Elle n’est pas particulièrement maligne (lorsque Ali lui demande à lire Harry Potter et les Reliques de la Mort, elle s’imagine qu’il s’agit d’un roman arabe), ni obsédée par les valeurs patriotiques que le corps militaire lui demande de défendre. Mais, faute de mieux, elle applique les ordres. Ali, lui, cache mal derrière ses bravades et ses « shit cocktails », un profond désespoir teinté de pulsions suicidaires (neuf personnes en tout se sont ôtées la vie à Guantanamo). Pour ces deux âmes en plein tourment, les murs du camp reflètent parfaitement leur isolation émotionnelle, et lorsqu’ils apprennent à mieux se connaître – alors que l’échange d’infos privées est interdit -, leurs carapaces se fendent, enfin.

Entre les murs

The Guard : Guantanamo blues

Sattler s’est contenté d’un petit budget (1 million d’euros), d’un tournage express (20 jours) et de quelques décors pour orchestrer ce pas de deux platonique, dont la singularité vient du fait qu’il prend place dans un environnement claustrophobique au possible (à cause des cellules, mais aussi des étroits couloirs dans lesquels sont confinés les gardes, qui observent 24 h sur 24 leurs détenus). The Guard aurait tout aussi bien pu être une pièce de théâtre, tant il ménage de longues scènes dialoguées entre Ali et Cole, dont l’une, touchante, où la porte les séparant s’efface progressivement du cadre, jusqu’à n’être plus un obstacle entre eux.

Alors qu’elle vient de recevoir un César pour Sils Maria et s’apprête à tourner avec Woody Allen, Kristen Stewart trouve avec ce rôle une belle occasion de se détacher un peu plus de l’univers Twilight. Souvent critiquée pour son jeu monolithique, elle s’avère du coup un choix idéal pour camper cette femme renfrognée, solitaire par la force des choses et dans le regard de laquelle s’expriment de multiples contradictions, qui en font un personnage moins caricatural que prévu. Face à elle, Payman Maadi (Une séparation) compose lui aussi une figure charismatique et touchante. Leurs interprétations constituent deux bonnes raisons de découvrir cet inédit curieusement interdit de sortie salles. The Guard a contre lui d’être un peu trop transparent dans ses intentions (bien qu’il soit en surface polémique, le film prend bien garde au final de ne choquer personne), et de se reposer sur un pitch passionnant, mais maigrelet, qui justifie peu les quelques 120 minutes passées au cœur du camp, sinon par la volonté de Sattler de démontrer l’écrasante monotonie de la vie à Guantanamo.