Top 10 : Martin Scorsese

par | 27 novembre 2019

À l’occasion de la sortie de The Irishman, voici notre top 10, durement réfléchi, des plus grands films du plus cinéphile des cinéastes américains : Martin Scorsese !

Alors que des dizaines de critiques parlent déjà de The Irishman comme l’un de ses meilleurs films « depuis des décennies » (Léo appréciera), le moment et idéal pour consacrer un Top 10 à Martin Scorsese, 77 ans et près de 30 films au compteur. L’une des cinq légendes du Nouvel Hollywood, saint-patron cinéphile et parrain de cœur de pratiquement tous les jeunes cinéastes indépendants américains de ce dernier quart de siècle, n’a pas vraiment besoin d’introduction. Ni d’une polémique, comme celle, fatigante, sur les films Marvel, pour exister dans nos mémoires collectives.

Car s’il est tentant de caractériser son travail en insistant sur les multiples et mémorables films de mafia qu’il a livrés en cinquante ans de carrière, l’œuvre d’un artiste aussi passionné et ouvert sur le monde ne saurait souffrir d’être réduite à quelques clichés faciles. The Irishman était un de projet de longue date cher à son coeur, tout comme Silence avant lui, ou Gangs of New York avant encore. Qui pourrait trouver que ces histoires se ressemblent ? La vérité est que la filmographie de Scorsese reste d’une éclatante versatilité, quand bien même elle se trouve unifiée, comme chez ses amis De Palma et Coppola, par ses obsessions personnelles, et par une virtuosité stylistique qui avait fait dire au critique Roger Ebert, soufflé par Mean Streets, que Scorsese allait devenir « le Fellini américain ». Nous avons tenté, modestement, de désigner les dix titres qui résumaient au mieux cette imposante carrière. Quels sont les vôtres ? N’hésitez pas à nous le faire savoir dans les commentaires en bas de page !

10. Hugo Cabret

Top 10 : Martin Scorsese

Un an après le décevant Shutter Island, Martin Scorsese change radicalement de registre. Il réveille le grand cinéphile qui sommeille en lui pour animer un personnage qu’il admire : Georges Méliès, lui-même. Mais plutôt que de raconter de filmer la vie et l’œuvre de l’inventeur du cinéma, Hugo Cabret est un conte touchant sur un jeune orphelin qui vit dans la gare Montparnasse dans les années 30 et qui croise sa route. Pour ce film familial par excellence, le réalisateur a peaufiné son scénario dans les moindres détails : il tire ingénieusement les ficelles, comme un magicien de sa marionnette. Il lance aussi la carrière du jeune acteur Asa Butterfield qu’il dirige avec le reste du casting à la perfection. Mais c’est surtout la photo et l’image bluffantes de réalisme teinté de magie qu’il faut retenir. D’autant plus que Hugo Cabret reste à ce jour l’une des rares réussites visuelles en 3D jamais produite. Sincèrement.

9. After Hours

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En 1985, Martin Scorsese est dans une position délicate à Hollywood, suite à l’échec de La Valse des Pantins. Il doit oublier son projet d’adaptation de Dick Tracy, et va se ressourcer à New York avec After Hours. Cette comédie noire suit la nuit de cauchemar d’un yuppie (excellent Griffin Dunne) perdu dans les méandres d’un Manahattan sinistre et arty. Plus que le décor, ce sont les femmes qui font la force du récit, de l’angélique et mystérieuse Rosanna Arquette à la psychotique Catherine O’Hara, en passant par la punk Linda Fiorentino. Chacune apporte son lot de névroses typique des âmes perdues de la Grande Pomme à cette époque. Scorsese se libère et innove, alternant effets de montage et mise en scène alerte et fluide, flirtant avec le fantastique, voir l’horreur, et sait mieux que quiconque utiliser le sous-employé Will Patton, parfait en adversaire inquiétant. Gros succès, After Hours  a remis Scorsese sur de bons rails et reste avec A Tombeau Ouvert, autre odyssée nocturne infernale, un de ses titres les plus atypiques.

8. Aviator

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De tous les longs-métrages tournés en un peu plus d’une décennie par Scorsese avec Di Caprio, Aviator reste celui qui s’intègre le plus naturellement dans la galerie des personnages chéris par l’acteur oscarisé. Biopic fastueux (l’image déborde littéralement de couleurs chaudes, de lumières aveuglantes, les décors sont innombrables) du milliardaire excentrique et monomaniaque Howard Hugues, Aviator fournit à l’acteur un matériau d’exception pour incarner une figure de légende. Un entrepreneur, artiste et homme intimidant, dont toute la fougue et le pouvoir de séduction ne seront rien face aux démons issus de l’enfance et à la folie qu’ils renferment. Scorsese sublime cette saga historique avec l’assurance d’un vieux pro, trop heureux de pouvoir recycler ses obsessions et faire fonctionner son propre instinct aventureux, dans un film de studio propulsé par une immense star. Le résultat est un triomphe trop sous-estimé, qui venait à point nommé racheter la déception de Gangs of New York.

7. Mean Streets

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S’il n’avait pas été cinéaste, comme il le répète souvent, Scorsese serait devenu prêtre ou petit malfrat. C’est ainsi que la vie à Little Italy se déroulait, mais le destin a voulu que le petit garçon chétif embrasse la religion du 7e art, et qu’il exorcise ce quotidien à l’écran dans un film devenu culte. Mean Streets marque l’aboutissement d’un début de carrière passé à enchaîner les films expérimentaux fauchés, les commandes pour Roger Corman et des boulots de monteur fameux (notamment sur Woodstock). Dans cette histoire d’amitié et de perdition portant en elles tous les signes de son cinéma obsessionnel, Scorsese parle de ce qu’il connaît le mieux. Ses personnages, incarnés entre autres par Harvey Keitel et un Robert de Niro tout juste sorti des films de De Palma, respirent le vécu et l’authenticité. Keitel est un catholique contrarié, De Niro une petite frappe inconsciente, et les deux forment le double visage de ce que le cinéaste aurait pu être. Le film, lui, est une Révélation avec un grand R.

6. Casino

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Avec Casino, Scorsese fait dans l’opéra en trois actes en narrant le destin de Sam « Ace » Rothstein, gérant du Tangiers de Las Vegas pour le compte de la pègre. De son ascension jusqu’à sa chute et sa rédemption, Casino, à travers les yeux d’un De Niro impérial, dresse plus la critique d’une Amérique corrompue et victime de son avidité que le portrait de la Cité du Vice. Cette fresque enivrante décortique le fonctionnement d’une société cachée dont l’influence manifeste finit par tout pervertir. Épaulé de nouveau par Joe Pesci, et la nouvelle venue Sharon Stone, iconique en diable, De Niro demeure l’épicentre du terrible tourbillon d’amour et de haine dont il est le témoin, l’acteur et la victime. Avec une caméra étourdissante, et des plans-séquences vertigineux qui s’enchaînent comme dans les meilleurs De Palma, des dialogues ciselés, Martin Scorsese montre la fin d’un monde où se côtoie sordide et glamour, mais où le respect est toujours la règle. Un univers condamné à être remplacé par des parcs d’attractions et la même mentalité du gain facile.

5. La Valse des pantins

Top 10 : Martin Scorsese

Sans doute la plus méconnue des collaborations entre Scorsese et De Niro, La valse des pantins (nous lui préférerons le titre VO The King of Comedy) est réapparue dans nombre d’articles en 2019 suite à la sortie de Joker. Le réalisateur Todd Phillips dit s’est beaucoup inspiré, et cela se voit, de cette tragi-comédie grinçante et sur l’obsession de la célébrité, notre attirance pour les lumières du show-business. Rupert Pupkin, le sombre, mais dangereux idiot joué par un De Niro transfiguré, est un New-Yorkais de son temps (on parle d’une époque où John Lennon était assassiné près de Central Park par un fan dérangé), comme une projection visionnaire des tares de notre XXIe siècle. La Valse des pantins est un film d’avant Internet, mais Scorsese dévoile dans cette fable cynique les ressorts intemporels de la société des médias. Drôle et glaçant, La Valse des pantins sera, inévitablement, un échec cinglant à sa sortie en 1983. Tout le contraire de Joker, un projet auquel était attaché un temps… Martin Scorsese.

4. Le loup de Wall Street

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La seule chose qui sépare Jordan Belfort, « héros » bien trop réel du Loup de Wall Street, des mafieux précédemment filmés par Scorsese, c’est que la justice, sous toutes ses formes, n’a jamais réussi à lui appliquer la punition que lui et ses semblables mériteraient. Éreintant, excessif, obscène, ce film de trois heures que le cinéaste consacre à ce trader, responsable comme tant d’autres firmes bancaires de la crise financière de 2008, est tout entier à son image. À part peut-être chez Tarantino, Di Caprio n’a jamais été aussi outrageusement cabotin, drôle et surexcité que dans cette cavalcade virtuose, où l’ensemble des personnages contamine par sa démence chaque coin de l’image. Le loup de Wall Street n’épargne personne, ni les profiteurs, ni les pigeons naïfs, ni même les honnêtes gens, comme l’agent du FBI joué par Kyle Chandler, symbole de l’impuissance de notre société à punir les excès d’une poignée d’arrivistes parvenant, à la force du dollar, à se maintenir au-dessus des lois.

3. Taxi Driver

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Près d’un demi-siècle après sa palme d’Or, après avoir subi des milliers d’imitations maladroites de Travis Bickle, après des dizaines de livres et documentaires rétrospectifs sur son mythique tournage, que reste-t-il de Taxi Driver ? Un témoignage clé sur un New York disparu, certainement. L’assurance, à chaque revisionnage, de pouvoir assister en direct à la réunion miraculeuse de trois talents déjà établis qui explosent aux yeux du grand public : Scorsese, De Niro, Paul Schrader. Taxi Driver est une œuvre comme seules les années 70 pouvaient en voir passer : une chronique socio-politique d’une audace folle, le doigt fixé sur le zeitgeist d’une décennie de paranoïa, de déclassement brutal et d’aliénation urbaine. Un coup de massue et de maître finalement à part dans la première partie de carrière de Scorsese, qui sortait d’un beau portrait de femme (Alice n’est plus ici) et enchaînera… avec une comédie musicale en compagnie de sa nouvelle muse tout-terrain (New York New York). 

2. Les Affranchis

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Œuvre jalon située entre Mean Streets et Casino, Les Affranchis s’est imposé dès sa sortie comme l’un des meilleurs films de gangster jamais faits, évitant l’hagiographie baroque à la Coppola ou la déglingue azimutée à la Ferrara. Mettant en relief le destin, sur deux décennies, de personnages hauts en couleur, Les Affranchis est à la fois une grande saga et une vision intime et réaliste du « milieu » italo-américain et de ses mécanismes. Fasciné par une brochette d’acteurs fabuleux, oscillant entre le paternaliste (De Niro) et le sanguin (Pesci), sous les yeux de l’affranchi candide (Liotta), on éprouve une réelle sympathie pour ces « bons potes ». Mais Scorsese reste critique sur ce monde au-dessus des lois, et réussir à tirer une morale douce-amère en rien lénifiante, avec une réplique finale aussi ironique qu’implacable. Ponctué de moments d’anthologie (ce plan-séquence), Les Affranchis s’appuie aussi sur une bande-son clinquante, sublimant nombre de scènes grisantes ou morbides. Tarantino, entre autres, saura s’en souvenir…

1. Raging Bull

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Même s’il n’a pas remporté l’Oscar du meilleur film, Raging Bull demeure le pinacle de la filmographie de Martin Scorsese. L’histoire, fameuse, veut que Robert De Niro soit venu proposer à son ami cloué sur un lit d’hôpital suite à une overdose de réaliser ce biopic du boxeur Jake La Motta. Scorsese ne pouvait que se passionner pour cette histoire de rédemption et de futile pénitence. Celle d’un champion, qui ne pouvait se sentir vivre qu’en se faisant démolir la tête ou en réduisant en miettes celle de son adversaire. De Niro est le vecteur idéal pour ancrer ce film plastiquement renversant dans notre mémoire collective : l’acteur domine l’écran comme, oui, un taureau enragé dont les sentiments devraient être expulsés par le poing. Joe Pesci fait forte impression face à lui, mais Raging Bull est son film, LE film qui cimentera après Taxi Driver la relation symbiotique entre le réalisateur catholique de Little Italy et le fils d’artistes approchant chaque rôle avec une dévotion quasi-religieuse.