Velvet Buzzsaw : c’est l’art qu’on assassine

par | 18 février 2019

Le monde de l’art moderne et ses parasites sont la cible du nouveau film de Dan Gilroy, Velvet Buzzsaw. Un décevant mélange entre film choral et slasher en bout de course.

Monté et tourné sous le radar, Velvet Buzzsaw avait pourtant tout du film événement. En tout cas pour ceux qui avaient goûté au nihilisme teinté de cynisme de Night Call, peinture féroce et nocturne de l’entertainement sans limites où Jake Gyllenhaal jouait les charognards ambitieux avec un abandon fascinant. Son scénariste et réalisateur Dan Gilroy, de retour après une Affaire Roman J. passée relativement inaperçue, avait logiquement refait appel à l’acteur, et à son épouse Rene Russo, pour les besoins de ce nouveau projet présenté comme une peinture grinçante du monde de l’art contemporain. Mais la bande-annonce avait dévoilé le pot aux roses, et la vision du résultat le confirme : Velvet Buzzsaw, contrairement à son prédécesseur, se révèle moins intéressé par la subtilité de sa charge satirique que par l’idée d’un choc frontal entre comédie chorale et excentrique à la Robert Altman, et slasher surnaturel de seconde zone, façon Destination Finale en mode PG-13.

Toiles de maître maudit

L’univers du film nous est dévoilé lors d’une ouverture assez réjouissante : au cœur d’une foire de l’art contemporain à Miami papillonnent de multiples personnages, dont la vanité et l’outrance distinguées sont d’autant plus savoureuses qu’elles ne doivent pas être si éloignées de la réalité. On y croise un proto-Jeff Koons en manque d’inspiration (John Malkovich, toujours aussi peu concerné), une curatrice d’art vénale (Toni Colette, perruquée et déchaînée), une galeriste à succès au passé punk (Rene Russo), son ambitieuse assistante Josephina (l’irritante Zawe Ashton) ou encore le critique star Morf Vandewalt (Gyllenhaal, dans la lignée de sa prestation maniériste et outrée d’Okja). L’épicentre de cette agitation mondaine et un peu vaine, dont les papiers font et défont la valeur des œuvres et installations qu’il découvre d’un air blasé.

Tous sont à la fois des experts sans scrupules et des observateurs attristés d’un monde où l’art est une denrée éphémère qui s’évalue et se vend avant même d’être appréciée. Quand Josephina tombe, dans l’appartement d’un voisin récemment décédé, sur des centaines de peintures et croquis fabuleusement évocateurs – et sinistres -, tout ce petit monde tombe sous le charme de l’artiste maudit. Mais on ne plaisante pas avec l’art total, surtout lorsqu’il est frappé d’une malédiction sépulcrale…

Les vrais artistes… et les autres

Il est étonnant de voir un auteur aussi sérieux en apparence que Dan Gilroy s’essayer dans Velvet Buzzsaw à un type de comédie aussi extravagant et cynique que celui qui domine la première partie du film. Il lui faut un bon quart du métrage pour faire les présentations de son casting choral, papillonnant de vernissages en expositions, deals mirifiques et discussions d’alcôve, avec en fil rouge le couple contrarié Josephina / Morf. Qu’ils cherchent du sens à leur vie, la gloire ou la fortune (et parfois tout cela à la fois), tous les protagonistes de Velvet Buzzsaw, sauf les « vrais » artistes, sont décrits comme des parasites modernes, aux valeurs morales fluctuantes quand elles ne sont pas inexistantes. On comprend alors d’autant mieux pourquoi le film, tel son héros naviguant sans complexe entre plusieurs sexualités, se métamorphose au bout du premier acte en film d’angoisse entreprenant d’éradiquer sans préavis cette faune prétentieuse de la planète.

De moyennement intéressant, Velvet Buzzsaw devient franchement prévisible dans ses nouveaux habits de slasher haute couture. Gilroy s’amuse à faire de ses installations artistiques (peintures, sculptures globuleuses à la Phantasm, robots métaphoriques…) des machines de mort, et nous gratifie notamment d’une gouleyante exécution prise par inadvertance pour une « performance » d’art moderne. Mais la vista nécessaire pour transcender ce jeu de massacre répétitif n’est pas là, le film traînant constamment à la lisière du téléfilm haut de gamme (image lisse, manque de profondeur, abus de gros plans et de plans d’ensemble sans âme), quand il se ne risque pas au ridicule involontaire, en rabaissant ses personnages au rang de victimes sans cervelle.

Le discours général (appréciez l’art pour ce qu’il est, par pour ce qu’il vaudrait) est aussi transparent qu’une toile sans fond, et asséné avec une lourdeur telle qu’on soupçonne Gilroy de nous croire aussi abrutis que les pantins qu’il dézingue. Visant le potentiel culte « campy », Velvet Buzzsaw se trompe de cible et réutilise les pires clichés du slasher surnaturel (ah, ce flash-back en mode Joel Schumacher sur le passé psychiatrique du mystérieux peintre tueur…), sans leur donner cette couche de fraîcheur et de sincère excentricité qui ferait du résultat plus qu’une très oubliable curiosité.