L’histoire dramatique de l’Afrique du Sud est mise à l’honneur cet hiver avec la sortie du polar contemporain Zulu et du biopic Mandela : un long chemin vers la liberté qui met en scène « Madiba » sous les traits d’Idris Elba. Durant près de quarante ans, l’Apartheid a divisé une population entière selon le statut social et racial des personnes. Le pays restait sous la coupe des blancs immigrants, composés essentiellement d’Afrikaners, d’Indiens, de métis et de noirs (Bantous) dont une des ethnies les plus touchées est le peuple Zulu (ou Zoulous en français). Aujourd’hui, les peuples réconciliés d’Afrique du Sud tentent de faire table rase du passé à la manière pacifiste de Mandela, malgré des cicatrices encore visibles.

Dans la ville du Cap (ou Cape Town en anglais), entre les bidonvilles immenses et pollués par la drogue et la violence, le passé risque de remonter à la surface à tout instant. Dans ce contexte, un trio de policiers composé de Dan, un homme de bureau exceptionnellement dépêché sur le terrain, Brian, jeune fils d’Afrikaners torturé par la honte des actes de son père, et d’Ali, un policier expérimenté d’origine Zoulou, fait équipe pour résoudre une sordide affaire de meurtre, qui semble cacher une conspiration plus grave encore…

Histoire choc, équipe choc

Zulu : Salles affaire à Captown

Sélectionné en clôture du Festival de Cannes cette année, Zulu est une adaptation du best-seller éponyme de Caryl Ferey. Arrivé en 2000 à la réalisation, Jérôme Salle a jusqu’à présent « commis » les deux Largo Winch, ainsi que le moyen Anthony Zimmer, remaké à Hollywood sous le nom de The Tourist. Il y avait donc des raisons de se méfier du réalisateur dont la carrière ne rime  franchement pas avec morceau de bravoure. Grâce à une source littéraire remarquable, une atmosphère exceptionnelle due à un tournage sur les lieux même de l’action, et une équipe d’acteurs convaincante, le réalisateur surprend néanmoins en réussissant une adaptation ambitieuse d’un récit complexe. Un pari qui n’était pas gagné d’avance, le film ayant reçu un accueil plutôt mitigé sur la Croisette.

[quote_left] »Le corps d’Orlando Bloom gonflé de muscles, oui mesdames, ferait passer Legolas pour un danseur de claquettes. »[/quote_left]Lorsque Zulu sort en librairie, le roman n’échappe pas au radar de Richard Grandpierre (producteur du Pacte des loups et de Martyrs) qui en confie l’écriture du scénario à Jérôme Salle et à Julien Rappeneau (36, quai des Orfèvres, Cloclo) et la musique à Alexandre Desplat (De rouille et d’os). Le travail d’adaptation s’avère fidèle et précis, même si des changements ont été apportés. Un casting international complète le tableau, l’impeccable Forest Whitaker (Le Majordome) et l’inattendu Orlando Bloom forment un duo redoutablement efficace. Orlando Bloom prend la mesure de son personnage en se métamorphosant en dur à cuire alcoolique et torturé dont le corps gonflé de muscles, oui mesdames, ferait passer Legolas pour un danseur de claquettes. Le regret de ne pas voir à l’écran des acteurs sud-africains au profit d’un casting de stars est donc compensé par l’implication palpable des acteurs dans le projet.

Un polar sombre et tendu

Zulu : "Salle" affaire à Cape Town

La cruauté d’une société régie par la drogue explose au grand jour. Des adolescentes retrouvées mortes ne représentent que le sommet d’un iceberg bien plus large : les enquêteurs remontent le fil rouge depuis les gangs, constitués de montres fous dont l’avidité n’épargne pas les plus faibles, les enfants en tête. Mais l’horreur à l’état pur se manifeste sous la forme d’une nouvelle drogue, la TIK, qui pousse les consommateurs à une violence extrême semblable à la rage. Pour parvenir à résoudre leur enquête, Brian et Ali laissent resurgir le passé et ainsi leurs traumas personnels. Tout à coup, l’enquêteur devient le juge du bourreau, comme si la justice elle-même ne pouvait rien contre les crimes les plus sordides. Alors qu’Ali semble détruit de l’intérieur, Brian, malgré son autodestruction permanente, démontre une énergie volontaire et pure face au mal. À mesure que la vérité se fait jour, le basculement vers l’irréparable semble inévitable. La fatalité frappe, comme un coup de machette, donnant une vision pessimiste du genre humain.

Tourné dans des décors réels, le film ne tombe pas le piège de la leçon d’histoire. L’Apartheid en toile de fond est évoqué d’un point de vue sud-africain, dans un souci de reproduire la réalité du terrain avec exactitude. Vous l’aurez compris : une remise à niveau s’impose peut-être pour bien comprendre les enjeux de ce polar lancé à 100 à l’heure dans les bas-fonds des townships, soutenu par une bande originale dont le rythme s’intensifie au fil des minutes. Le montage de Stan Collet ne ménage aucun répit au spectateur, passant d’instants de grâce à des scènes d’une rare violence. À la manière d’une série télévisée à suspens comme 24, le film, aussi sombre que tendu, comporte quelques cliffhangers traumatisants, comme la fameuse scène de la plage, reprise du roman. Pour clore son aventure, le réalisateur s’offre même une scène finale mémorable et émouvante à la fois, sublimée par la photographie de Denis Rouden. Contre toute attente, Jérôme Salle signe donc un grand polar, porteur d’une ambiance inhabituelle et d’une énergie peu commune.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

quatresurcinq
Zulu, de Jérôme Salle
France / 2013 / 140 minutes
Avec Orlando Bloom, Forest Whitaker, Conrad Kemp
Sortie le 4 décembre 2013
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[text title= »Rencontre avec l’équipe de Zulu »]
Zulu : Salle affaire à Cape TownAvant la sortie du film en salle, l’équipe de Zulu est venue à la rencontre des blogueurs. Le réalisateur est longuement revenu sur l’apport du scénario sur l’histoire d’origine, la personnalité du personnage de Brian et sur le tournage au cœur des townships. Born to Watch s’est intéressé à la genèse du projet.

« Tout est parti d’une discussion avec Stan Collet, mon monteur qui me l’a fait lire la première fois, explique le réalisateur. J’ai tout de suite été séduit par le mélange entre la politique et l’enquête, mais également par l’évocation du pardon. » Après un coup de fil à son producteur Richard Grandpierre, il découvre que ce dernier a déjà dévoré et acquis les droits de ce « formidable » roman. « Pour ma part, explique l’intéressé, j’ai aimé le côté inattendu de l’histoire à la manière de Police Federale Los Angeles, de William Friedkin. J’ai trouvé certains rebondissements plutôt gonflés de la part de l’auteur du roman, Caryl Ferey. »

Le projet de Zulu démarre avec la certitude que l’auteur ne doit pas s’impliquer dans l’écriture du scénario. « Je pense que le cinéma doit apporter un regard extérieur, un nouveau point de vue, ajoute Jérôme Salle. En outre, nous avons travaillé l’oralité avec des auteurs sud-africains. »

Sur le casting, le metteur en scène reconnaît avoir répondu aux propositions de son agent américain. « Nous avions une chance en or d’avoir Forest Whitaker dans le rôle d’Ali, confit-il. Pour Orlando Bloom, je n’étais pas sûr un début, car il n’avait jamais joué ce genre de rôle auparavant. Mais il a bien bossé pour se rendre crédible. »

Le film met en lumière ces « villes dans la ville » que sont les immenses bidonvilles du Cap. « Il faut les distinguer les townships où vit la mère d’Ali et où nous avons tourné durant une semaine, commente Jérôme Salle. C’était déjà tendu pour nous, mais pas autant que dans les quartiers où évoluent les gangs les plus violents. »

Enfin, Jérôme Salle revient sur la bande-originale composée par Alexandre Desplat, avec qui il avait déjà collaboré sur les Largo Winch notamment. « Je pense qu’Alexandre n’est pas un compositeur qui s’inspire d’une autre musique de film. Je ne voulais pas lui dire de « faire comme… » Je lui ai simplement demandé une musique qui exprime les sentiments évoqués à l’image. »

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Crédit photo : purepeople.com