Depuis la rétrocession et la fin d’un certain âge d’or du cinéma hong-kongais, les réalisateurs HK à s’être faits un nom à l’international se sont révélés peu nombreux. Johnnie To a à vrai dire monopolisé l’attention par son stakhanovisme en tant que réalisateur et producteur, et les cinéastes dotés d’un univers véritablement particulier comme Pang Ho-Cheung (Men Suddenly in black, Dream Home) sont restés confinés à un cercle de connaisseurs sachant passer outre le rideau de productions commerciales et sans âme qui constitue l’essentiel de la cinématographie locale actuelle – on parlera bientôt du cas Chinese Ghost Story.

Dans ce contexte, l’émergence d’un réalisateur comme Soi Cheang fait plaisir à voir, d’autant que ses films ont la chance d’être systématiquement distribués en France. Love Battlefield, Dog bite dog et Coq de combat ont leurs défauts, certes, mais le jusqu’au-boutisme nihiliste du bougre, qui rappelle l’œuvre de son aîné Ringo Lam, n’a pas d’équivalent dans l’ancienne colonie, et s’accompagne d’un véritable travail de directeur d’acteurs, là où nombre de ses collègues se bornent à servir de yes man à des stars omniprésentes et toutes puissantes. Cheang est passé après ces coups d’éclat dans le giron de Milkyway, donc de Johnnie To, et cela a produit le très atypique (et très peu vu) Accident avec Louis Koo, polar à la mécanique perverse, plus sophistiqué que ses précédents titres.

Droit dans le mur ?

Le duo de cambrioleurs de Motorway. Deux personnages qui partagent des liens mystérieux…

Motorway se situe dans cette continuité étrange, la rage qui animait Cheang semblant avoir fait place à une volonté de se conformer à l’esthétisme glacé typique du réalisateur de PTU. Le film a été tourné il y a déjà deux ans, et l’écart de temps entre le premier montage présenté en 2011 et la sortie effective du film sur les écrans peut s’expliquer par les rumeurs de réécritures, reshoots et changements de compositeurs qui ont accompagné la post-production. Cela se ressent dans le montage final, cruellement avare en développement dramatique (certains personnages semblent avoir été purement et simplement sacrifiés), mais également dans la fiche technique, où deux compositeurs se partagent les crédits de la BO : l’un, Xavier Jamaux, est un habitué des productions Milkyway depuis Sparrow ; l’autre, Alex Gopher, est un grand nom de la french touch électro. On subodore que la musique ambiante et hypnotique qui accompagne les nombreuses scènes de poursuite du film et recouvre le générique de fin lui échoit, tant elle souligne l’influence qu’ont du avoir Drive et la musique de Kavinsky sur l’équipe de Motorway.

Le script, s’il fallait s’y attarder, est tout aussi squelettique et réduit à sa plus simple expression. Une tête brûlée, Cheung, conducteur hors pair et amateur de tuning, se fait virer de la brigade anti-chauffards après une poursuite un peu trop musclée, et se voit réaffecté, avec Lo, son partenaire proche de la retraite, à la surveillance des radars. Lorsqu’il arrête un conducteur en délit de fuite, qui s’avère être un gangster passé maître dans l’art d’échapper à la police en voiture, et que Lo connaît bien, Cheung n’a qu’une obsession : arrêter le pilote et son complice.

Le héros impulsif qui doit passer l’apprentissage de techniques particulières pour attraper un méchant insaisissable (ici, le dérapage contrôlé en 1ère), un vieux pro qui devient son mentor parce-qu’il-voit-dans-son-jeune-coéquipier-l’image-de-lui-quand-il-était-jeune, un hold-up fatal, des supérieurs jamais contents mais qui soutiennent quand même leurs gars… Rien, rien ne pourra vous surprendre dans Motorway, en tout cas pas au niveau des rebondissements. Chacun d’entre eux est attendu, et arrive à l’écran en temps et en heure. Cette simplicité proverbiale, qui fait grincer des dents, sert de châssis à un film tout entier tourné vers la technicité de ses pilotes. Saluons ici les cascadeurs, doublures et pilotes qui sont finalement les vraies vedettes du film, dont les pirouettes automobiles, filmées parfois au ralenti, font sévèrement penser aux ballets pré-nuptiaux de John Woo dans Mission : Impossible 2. Ce qui est d’autant plus un compliment que Soi Cheang tourne ces morceaux de bravoure de nuit, sûrement sans autorisation, et les monte à la perfection.

Les as du volant

Cheung (Yue) et Lo (Wong), le chien fou et le pré-retraité. Leur arme fatale ? Le dérapage contrôlé !

Pour peu qu’on passe outre ses nombreux défauts de conception, et son absence manifeste de réelle ambition (le réalisateur semble n’avoir aucun souci à admettre que le film a été lancé comme un simple Initial D un peu plus intello), il y a de bonnes choses à découvrir dans ce polar sous haute influence « refnienne ». Anthony Wong, en premier lieu, qui se délecte à chaque seconde d’un rôle de briscard à qui on ne la fait pas, et parvient à rendre touchant le lieu le plus commun du monde polardeux, éclipsant ainsi un Shawn Yue constipé. Les courses-poursuites ensuite, qui au lieu de jouer sur la vélocité et la tôle froissée, mettent en valeur l’anticipation, la manœuvre délicate à gérer, le jeu sur les dérapages, soit des « cascades » tout aussi impressionnantes qu’un tonneau à 180 km/h. Qu’importe si le cache-cache entre Cheung et sa proie tourne parfois à la préciosité teintée d’invraisemblance (voir la séquence finale dans le parking, où personne ne pense à fermer les issues, pour « laisser se dérouler la poursuite » !), voir deux pilotes jouer à rouler phares éteints, à créer des écrans de fumée avec leurs pneus ou éviter les pièges à clous d’un coup de volant est très ludique.

Ce duel entre deux artistes du volant obsédés par leur propre talent permet de transposer à un niveau mécanique l’immuable thème de la frontière ténue entre flics et truands que tout rapproche à part le badge – truisme bien connu des amateurs de polars HK. C’est peu, mais c’est suffisant pour ne pas crier à l’écart de conduite de la part de Cheang, qui n’a que 40 ans. En revanche, on peut être inquiet de voir cet électron libre peu à peu attiré par les sirènes du star system à la hong-kongaise – son prochain projet est une nouvelle adaptation du Roi Singe avec Donnie Yen et Chow Yun Fat, pas vraiment des acteurs malléables à diriger. Il serait triste de voir disparaître dans la masse des faiseurs anonymes un talent aussi singulier.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Trois sur cinq
Motorway
De Soi Cheang
2011 / Hong-Kong / 100 minutes
Avec Shawn Yue, Anthony Wong, Josie Ho
Sortie le 13 février 2013 en DVD et Blu-ray
[/styled_box]