La nouvelle est passée un peu inaperçue ce mercredi 29 juin, en tout cas pour ceux qui ne dépendraient pas d’un UGC près de chez eux pour aller au cinéma. L’exploitant français a tout simplement décidé de ne pas programmer Conjuring 2 dans son réseau. Aucune salle en France, malgré des avant-premières programmées un peu partout, et une fête du Cinéma qui durait cette année jusqu’au mercredi. Interpellé sur les réseaux sociaux par des spectateurs déçus (une déception partagée), UGC s’est fendu d’une réponse surréaliste et sentant bon l’excès de diplomatie.

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Cette hypocrisie latente autour de la non-diffusion du film de James Wan n’est bien sûr qu’un paravent maladroit pour éviter de dire qu’UGC en a assez de programmer des films d’épouvante. Pas que la société est dirigée par des fanatiques œuvrant pour un retour à l’ordre moral. Mais distribuer de l’horreur sur grand écran aujourd’hui équivaut à rameuter les pires spectateurs imaginables : les « sauvageons », les sans-gêne, les excités, de tous âges, mais souvent (très) jeunes. Des casseurs en puissance, confinés en bande dans des salles obscures devenant soudain des cibles de débordements plutôt que des refuges culturels.

edit10_1D’une certaine manière, cette réaction excessive (car dommageable pour toute une partie des spectateurs qui ne veut que découvrir le film dans les meilleures conditions) peut se comprendre. Les incidents très médiatisés autour des projections de Sinister et Annabelle visaient particulièrement le réseau UGC, qui n’avait pas hésité à annuler les séances pour ne plus avoir à nettoyer d’urine, à remplacer des rangées de sièges et à appeler la police en renfort (oui, on en était rendus là).

Mais le boycott de Conjuring 2, sortie majeure du mois de juin soutenue par un grand studio, est surtout regrettable pour ce qu’il dit de notre rapport actuel au « film de frissons ». Aller se faire peur en salles a toujours été un plaisir, aussi basique et essentiel que la comédie (pour rire), le drame (pour pleurer) ou l’aventure (pour s’évader). Comme n’importe quel genre fictionnel, l’épouvante nécessite une suspension d’incrédulité, un laisser-aller temporaire qui nous permet un temps de croire aux fantômes, aux vampires, aux monstres, et d’en avoir légitimement peur. Sans conséquence, bien sûr. Ça n’empêche pas d’en rire après coup, en se regardant d’un air complice sur le mode « ouh dis donc, ça faisait peur, punaise, regarde mes poils de bras ! ».

edit10_2Tout cela a indéniablement changé, et pas pour le mieux. Le rire, non pas complice, mais cynique, a remplacé l’angoisse, et a écrasé chez le spectateur toute volonté de se soumettre aux impératifs du genre. Le public de 2016 est devenu plus captivé et docile à l’idée de suivre les aventures de super-héros en costumes, qu’à celui de trembler devant une histoire de possession démoniaque ou de serial-killer revenu de l’au-delà. Il n’y a qu’à voir sur Internet l’accueil réservé à un film de genre plutôt typé art et essai comme The Witch (« c’est lent », « y s’passe rien », « j’ai bien dormi »), pour comprendre que l’audience type des films d’horreur – les 15-30 ans, en gros – a désormais moins envie de se faire peur que de s’amuser, sans tenir compte des intentions des réalisateurs, qui eux, ont sincèrement l’ambition de vous faire flipper. Qui dit que des titres comme The Thing, La Mouche ou Shining ne seraient pas descendus ou dénigrés d’un tweet lapidaire, s’ils sortaient aujourd’hui dans votre multiplexe ? Avez-vous encore envie d’être bousculé, d’être mal à l’aise devant un film, ou préférez-vous en rire, vous réfugier dans le second degré, le LOL permanent ?

J’ai tiré un trait, à regret, sur l’expérience en salles de films comme Conjuring et The Witch, pas parce que le genre se fait plus rare – c’est faux, c’est juste que les distributeurs n’ont plus le courage de les sortir -, mais parce qu’il est devenu impossible de trouver une salle où le rituel nécessaire à ce type de long-métrage (trembler, collectivement, si possible en silence) est respecté. Les fléaux sont les mêmes, en partie, que devant un Camping 3 ou un X-Men : téléphones allumés, bavardages constants, paralysie évidente de la mâchoire inférieure qui empêche de manger le popcorn proprement. Mais tout cet évident manque d’éducation augmente en amplitude dès lors qu’on parle de « film de peur », et c’est ce qui a ironiquement effrayé UGC. Toute la condescendance d’un public qui envisage le cinéma comme un lieu de consommation courante s’y exprime sans retenue, comme si l’horreur était devenue le bas-fond défoulatoire du 7e art. Une attraction plus qu’un art, qu’on peut dénigrer et moquer tout haut en pensant être en territoire conquis.

Penser que ces films-là seraient la cause unique des « débordements » est une grave erreur. Ils ne sont que le symptôme visible, l’exemple extrême, d’un problème plus vaste. Et ils ne font qu’offrir un miroir déformant du rapport de plus en plus perverti qu’entretient le public avec l’expérience collective du grand écran.

Crédit photos : LeFigaro.fr