Pour beaucoup de fans (et le beaucoup est un euphémisme dans le cas présent), la sortie du Réveil de la Force en ce mois de décembre met fin à une attente qui semblait partie pour ne pas avoir de fin, du moins de leur vivant. Car malgré toute la sympathie qui peut bien subsister pour George Lucas, présent à l’avant-première hollywoodienne de l’Épisode VII même s’il en a été totalement exclu, ceux qui ont découvert enfants la trilogie originale n’ont que faire de la fameuse prélogie du barbu. Ces trois films « modernes » qui ont paradoxalement très mal vieilli – surtout les deux premiers, La revanche des Sith témoignant lui d’un bond technologique notable – cumulaient trop de tares, de compromis et de partis-pris malheureux pour être à la hauteur du choc de 1977. Bien sûr, nous n’étions pas tous nés à cette époque. Mais les années 80 et 90 ont été celles de « l’apprentissage Star Wars » malgré tout. Et si vous évoquez avec un vieux connaisseur de la saga, le Yoda transformé dans L’attaque des clones en boule de flipper, il y a des chances pour qu’il pleure des larmes de sang et implore le dieu Frank Oz de sa clémence.

C’est ainsi : chaque univers de fiction lié à notre enfance, à notre « âge impressionnable », constitue une part importante de notre conscience de spectateurs. Et il subsiste toujours une part d’intérêt pour cet univers quand nous arrivons à l’âge adulte, quel que soit l’état dans lequel celui-ci peut se trouver. Il est le plus souvent dangereux de réactiver les franchises de notre enfance, tout du moins artistiquement. Car commercialement, et Hollywood l’a désormais bien imprimé, la nostalgie pour un univers pré-établi est un filon plus que juteux.

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La notion n’a bien sûr rien de nouveau pour l’industrie américaine, habituée à s’auto-alimenter avec une voracité cannibale. Prenez le film d’horreur : voilà plusieurs décennies que les croquemitaines stars du genre, Freddy, Leatherface, Michael et Jason refusent de mourir ! Des reboots continuent d’être mis dans les tuyaux, alors même que le public visé par ces mises à jour s’amenuise à chaque fois un peu plus. Ces méchants-là sont revenus trop de fois pour qu’on se prenne à croire à leur mort définitive. Ils mériteraient pourtant de reposer en paix, pour services rendus aux ados galocheurs des années 80.

Mais cette tendance à la réactivation perpétuelle, qui pouvait passer pour logique dans le cadre de ces films d’exploitation, a pris une nouvelle forme bien plus agressive et globalisée au XXIe siècle. 2015 semble marquer un tournant à ce niveau : réanimé quinze ans après une deuxième séquelle inodore et par endroits ridicule, le monde de Jurassic Park a une nouvelle fois, et au-delà des pronostics les plus fous, recouvert de dollars ses géniteurs, en l’occurrence Universal. Jurassic World est un succès colossal, invraisemblable, le troisième plus gros de tous les temps, et seul Star Wars peut venir le titiller. Le film est pourtant au mieux oubliable, au pire honteux, et il s’abreuve consciencieusement à la source du succès de Spielberg pour titiller les souvenirs lointains de sa frange trentenaire. Mais, en plus de rappeler à quel point les dinosaures sont bankable (enfin, sauf pour Le voyage d’Arlo), il est clair que le film est venu toucher du doigt un espace-clé du cerveau de ces spectateurs adultes et pas encore déconnectés des classiques qui les ont fait vibrer étant enfants.

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Cet inconscient collectif, sensible, vivace, lié à un titre ou à une saga, peut devenir, le film de Colin Trevorrow le prouve, une source de succès massif, parce qu’il donne au spectateur l’illusion parfaite d’une continuation inespérée de son adolescence. « Un nouveau Jurassic Park ? Ah cool, enfin ! » s’exclame dans sa tête cet adulte type, qui n’a pas besoin d’être convaincu plus que de raison pour payer son ticket. La perspective de retrouver pour un moment cette madeleine proustienne a déjà fait son travail. C’est ce qui différencie Jurassic World d’un projet autrement plus difficile à vendre comme Mad Max : Fury Road (dont l’univers est connu, mais pas maîtrisé par une large part de l’audience).

Universal a bien compris la leçon, et il est compréhensible qu’ils aient courtisé Robert Zemeckis, détenteur des droits de sa trilogie Retour vers le futur, pour une suite faisant revenir (ou non) Marty McFly et le Doc sur le devant de la scène. Zemeckis soutient – à raison – qu’il n’y a aucune justification possible pour créer une séquelle, ou rebooter ses films. Mais il est clair que le grand, le très grand public, lui, n’y verraient aucune objection. Une DeLorean flambant neuve pilotée par Chris Pratt (ou Chris Evans. Ou même Chris Hemsworth) ferait un carton, et Universal le sait.

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Maintenant que cette équation a prouvé sa valeur, la question, elle, se pose : plus que les films de superhéros, appelés à lasser progressivement leur audience, que les adaptations de romans pour ados (à l’impact fluctuent) et les Fast & Furious, le retour systématique d’un passé pas trop lointain sera-t-il la tendance lourde des années à venir ? Deux projets permettront de répondre en 2016 plus précisément à cette question. D’une part le reboot/séquelle longtemps voulu par Dan Akroyd de Ghostbusters, au casting féminisé, viendra relancer une série de films auxquels plusieurs générations de spectateurs sont viscéralement attachées. Plus saugrenu est Independance Day : Resurgence, qui en appelle à l’amnésie collective d’enfants des 90’s, persuadés qu’ID4 était en fait un film culte de leur jeunesse.

Le succès, ou l’échec de ces réactivations tardives donnera peut-être du grain à moudre aux producteurs qui s’échinent en ce moment même à créer un Gremlins 3, un Indiana Jones 5, ou un nouvel Highlander. Si le recyclage marche aussi bien, qu’est-ce qui empêchera notre espace de divertissement préféré de devenir un cocon adulescent rétif à l’inconnu, alimenté par un perpétuel retour aux sources ? N’en est-on pas, en fait, déjà rendu là ?

Crédits : Reuters / USA Today