Le festival du film fantastique de Bruxelles (qui s’est doté cette année d’une accroche rajoutant « Fantasy, Science-Fiction and Thriller » plutôt logique) bat son plein actuellement au Palais des Beaux-Arts, et quelques belles exclusivités s’offrent aux yeux des spectateurs, rougis par l’accumulation des projections. Des trois films qui suivent, pourtant, tous diffusés dimanche 12 avril, un seul a provoqué l’impertinent enthousiasme du public « bifffien ». Ce n’était pourtant pas le meilleur du lot, loin de là…


Frankenstein : un mythe modernisé

En direct du BIFFF : Frankenstein, Monsterz, Lupin III

Projeté, c’est assez rare pour le signaler, en avant-première mondiale à Bruxelles, Frankenstein est le nouveau film d’un metteur en scène devenu rare dans nos contrées, le Britannique Bernard Rose. Propulsé réalisateur culte à l’époque de l’excellent Candyman (1992), le cinéaste avait fait des débuts remarqués avec son Paperhouse, récompensé justement au BIFFF en 1989. Loin d’être inactif, Rose s’est malgré tout fait discret ces dernières années, signant des films aussi divers que le biopic mafieux Mr. Nice, le found footage Sx Tape ou le documentaire The Devil’s Violonist, sur Niccolo Paganini. Insaisissable, Bernard Rose ? Libre, en tout cas, comme le confirme son adaptation modernisée du Frankenstein de Mary Shelley, tournée en numérique à Los Angeles.

Pas de surprises au niveau de l’histoire, ici, si ce n’est le point de vue que choisit d’adopter le réalisateur : via une suite de plans simulant l’ouverture et la fermeture de paupières, Frankenstein nous place dès les premières secondes dans la tête de la créature, née dans le laboratoire de Victor Frankenstein (le fidèle Danny Huston) et son épouse (Carrie-Anne Moss). Loin d’être suturée de partout, la créature a le visage d’un athlétique jeune homme (incarné avec force par l’Australien Xavier Samuel, The Loved Ones), et une force herculéenne, mais le QI d’un bébé. Rose fait le choix, curieux, d’inclure en voix-off les pensées au contraire très poétiques, tirées du livre, comme l’intéressé l’a précisé en ouverture de la projection, de la créature. Imparfaite (ses cellules se reproduisent de plus en plus mal, le transformant en loque humaine), piégée par ses instincts, elle s’échappe et devient un « déclassé » vivant dans la rue, où il rencontre un joueur de blues aveugle, joué ô surprise par Tony Todd. Les passages obligés (la petite fille, le lynchage, la confrontation finale) sont repris à la lettre, mais passés au filtre du traitement social, naturaliste et sensitif de Rose. Le réalisateur a souhaité, tout comme la série Jekyll, montrer le côté intemporel, universel d’un classique du XIXe siècle, en s’accordant la liberté nécessaire pour en renouveler notre vision.

Traversé de visions sanglantes et poétiques, le film est particulièrement marquant pour ses maquillages prosthétiques, signés par un vieux routier, Randy Westgate (Fight Club, Mulholland Drive). La vision d’un Xavier Samuel transformé en grotesque amas de chair, d’où ressortent des yeux rouges pleins de rage, est assez saisissante pour excuser l’évident manque de moyens qui transpire du projet, tourné dans des intérieurs spartiates et des extérieurs désertiques, peu mis en valeur par la caméra numérique.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Troissurcinq
Frankenstein
De Bernard Rose
2015 / USA / 100 minutes
Avec Xavier Samuel, Carrie-Ann Moss, Danny Huston
Sortie le 8 mars 2016 en DVD et Blu-Ray (Metropolitan)
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Monsterz : l’Incassable du pauvre

En direct du BIFFF : Frankenstein, Monsterz, Lupin III

Hideo Nakata a-t-il encore la flamme ? Il est permis, à la vision de Monsterz, de se poser définitivement la question, tant le réalisateur de Ring semble avoir perdu, depuis en gros Kaïdan, l’intelligence de mise en scène qui faisait le prix de ses films de fantômes. La vision, également au BIFFF, du grotesque The Complex, nous avait déjà laissé perplexe. Avec Monsterz, remake officiel du film coréen Haunters, il enfonce le clou et nous rend encore plus perplexes.

Monsterz est avant tout un film de commande, ce qui peut excuser son côté impersonnel, mais cela n’excuse pas la réalisation indigente et le scénario anémique qui caractérisent le résultat. Les choses démarrent pourtant bien : le « monstre » du titre est un mutant rejeté par ses parents à cause de ses dons télépathiques. En gros, il peut commander la volonté des humains par la pensée, par la simple force de son regard. Seulement, ce pouvoir le consume petit à petit, au point de le rendre unijambiste. Fragile mais surpuissant, ce professeur Xavier sociopathe grandit seul, jusqu’à ce qu’un événement bouleverse sa vie : un homme, Tanaka, résiste à son pouvoir, et a lui le pouvoir de guérir de toutes ses blessures. Pourquoi lui ? A cette question simple, Hideo Nakata tente d’apporter de très lourdingues réponses, Monsterz n’étant pas, contre toute attente, un film de super-héros exploitant les pouvoirs de deux personnages antinomiques (totalement pompés sur l’Incassable de Shyamalan), mais un drame vaguement spectaculaire au rythme de cloporte claudiquant, assorti de réflexions existentielles involontairement hilarantes – comme ce fabuleux proverbe « il faut vivre jusqu’à ce qu’on soit mort », répété comme un mantra.

Excepté un dénouement marquant où notre pas-si-méchant-monstre-mais-quand-même provoque la mort collective de spectateurs d’un opéra, rien ou presque ne vient sortir le public de sa torpeur. Les personnages secondaires sont irritants, les traumas surlignés au stabilo, le duo d’acteurs principaux prisonnier d’une mise en scène les laissant cabotiner dans le vide… À tout prendre, il aurait peut-être mieux fallu qu’un artisan plus concerné et énergique que Nakata prenne la commande.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Deuxsurcinq
Monsterz
De Hideo Nakata
2014 / Japon / 112 minutes
Avec Tatsuya Fujirawa, Takayuki Yamada
Sortie prochainement
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Lupin III : le cambrioleur de Maurice Leblanc s’est « edgaré »

En direct du BIFFF : Frankenstein, Monsterz, Lupin III

Pas besoin de s’étendre plus que de raison sur la dernière livraison en date de ce modeste tâcheron qu’est Kitamura. Étrangement plus « carré » lorsqu’il est entouré par une équipe technique américaine (pour Midnight Meat Train et No one lives), le réalisateur de Versus et Godzilla Final Wars est bizarrement plus désinvolte et maladroit lorsqu’il tourne chez lui. Même avec ses gros moyens et son envie de constituer un divertissement branché et sexy, Lupin III, adaptation live du manga Edgar de la cambriole, déjà porté mémorablement à l’écran dans les années 80 par Hayao Miyazaki, fait figure d’injure au personnage d’Arsène Lupin créé par Maurice Leblanc. Cambrioleur facétieux et supposément irrésistible, Lupin est ici un gouailleur ridicule, poseur de première et artisan plutôt passif d’un casse inutilement compliqué, qui se résoudra surtout par la force et non par la ruse.

Impossible de savoir ici quelle est la note d’intention précise de la production : s’agit-il de reproduire l’ambiance suave et luxueuse d’un Ocean’s Eleven asiatique, ou de réaliser un pur film d’action, rempli de fusillades, de cascades over the top et de filles sexy se déhanchant dans des tenues affriolantes (question femme-objet, Meisa Kuroki se pose là, mise en valeur comme si on était à Bollywood). Dans les deux cas, c’est lourd, ultra statique, pas drôle, c’est long et c’est surtout filmé n’importe comment par un Kitamura qui veut en donner pour son argent au spectateur, mais sans se soucier de raconter une histoire cohérente ou même intéressante. A plus de deux heures de métrage, le résultat tient du gentil calvaire esthétique et narratif, avec tout juste un moment de folie à retenir : une voiture au moteur tranché en deux en pleine course par un samouraï stoïque, qui a autant sa place dans un film de braquage qu’un sorcier zoulou dans un film de prison.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Unsurcinq
Lupin III (Rupan Sensei)
De Ryuhei Kitamura
2014 / Japon / 133 minutes
Avec Shun Oguri, Tadanobu Asano, Meisa Kuroki
Sortie prochainement
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