De manière assez étonnante, la culture Maori nous est aujourd’hui familière non pas grâce à la sphère culturelle, mais à cause du sport. Ténors mondiaux du rugby à XV, les All Blacks ont plus que contribué à imprimer dans les esprits les rituels traditionnels des guerriers de ce peuple d’origine polynésienne, le fameux haka caractérisé par leur bond impressionnant et les tirages de langue servant à défier crânement l’adversaire. Au cinéma, les cinéphiles se souviennent du très beau L’âme des guerriers, pratiquement le seul bon long-métrage de Lee Tamahori, qui traitait des conditions de vie d’un peuple décimé comme tant d’autres sur l’autel du colonialisme.

Aujourd’hui, c’est un film du cru sélectionné pour représenter la Nouvelle-Zélande à l’Oscar du film étranger, The Dead Lands, qui propose de nous plonger quelques centaines d’années en arrière, au temps où les différentes tribus Maori s’affrontaient pour la domination de territoires et la gloire de leur clan. Deux d’entre elles sont au centre de l’histoire : les fistons des deux chefs, Hongi et Wirepa, se déclarent mutuellement une guerre mortelle quand le second entreprend de massacrer en traître tous ses ennemis pendant leur sommeil. Seul rescapé de cette attaque sanglante, Hongi s’échappe et jure de venger son paternel et de ne pas faire sombrer son clan dans l’oubli. Seul souci, il n’est pas de taille à affronter le musculeux et vaniteux Wirepa. Il décide, tout comme eux, de traverser le « territoire des morts », dont la légende dit qu’il abrite un guerrier cannibale à la force surnaturelle, tuant quiconque s’aventure chez lui. Le fameux guerrier n’est pas une légende, et son aide va s’avérer précieuse pour mener la vengeance de Hongi à bien…

Vengeance aux Antipodes

The Dead Lands : l’âme des guerriers Maoris (BIFFF 2015)

Tout comme Rapa Nui entrouvrait au regard des spectateurs une porte sur un monde à jamais disparu, en s’aventurant sur l’Ile de Pâques, The Dead Lands a pour lui une dimension qu’on qualifiera faute de meilleur terme d’ « exotique ». Les paysages de la Nouvelle-Zélande ont une qualité cinégénique qui n’est plus à prouver depuis que Peter Jackson les a transfigurés sur grand écran. Si le mysticisme n’est pas absent du film, loin de là (le monde des esprits est, comme souvent dans ce type de culture tribale, omniprésent dans la manière de penser et d’agir des vivants), l’authenticité de ces paysages naturels contribue sans effort à nous plonger dans un autre lieu et une autre époque, où l’honneur des siens et le respect de soi-même sont plus importants que tout. Pour apprécier au mieux The Dead Lands, il faut accepter de laisser de côté ses repères culturels, de s’immerger dans des coutumes, un langage (forcément) et des gestuelles étonnantes, mais fidèles à l’Histoire.

Celle-ci a pour qualité d’être narrée par les héritiers de ce peuple. Tous les acteurs ne sont certes pas Maoris, mais il est facile de sentir, dans la déférence de la réalisation de Toa Fraser (qui ne s’était jamais aventuré sur un autre terrain que celui de la comédie auparavant) et dans l’intensité de chaque acteur, le respect et la motivation adoptés dans la concrétisation de ce projet inédit à plus d’un titre pour la Nouvelle-Zélande. S’il est avant tout porté sur l’action, The Dead Lands, tout comme ses personnages hantés par le poids de l’héritage et la nécessité de servir de « passeur » entre les générations d’un même clan, se donne aussi pour mission d’être digne de ces ancêtres qu’il fait revivre à l’écran. Sans être un fin connaisseur de la période illustrée, il est difficile de douter de l’authenticité des décors, costumes et de la langue utilisée dans le film. Le monde de The Dead Lands est inédit à l’écran, et l’existence seule du long-métrage serait suffisante pour susciter la curiosité d’un public aventureux.

Initiation à l’action

The Dead Lands : l’âme des guerriers Maoris (BIFFF 2015)

Le cinéma ne se résume pourtant pas à sa valeur ethnographique. The Dead Lands défend ainsi aussi son récit, linéaire même s’il s’autorise de (trop) nombreuses parenthèses. Le point de départ, l’atmosphère de jungle inhospitalière et la situation isolée de Hongi (le plutôt convaincant James Rolleston, vu dans Boy), dépassée en nombre et en force physique, tout concourt à rappeler l’Apocalypto de Mel Gibson, autre film essentiel consacré à une civilisation disparue. The Dead Lands est lui aussi une sorte de divertissement ultra-viril, où les guerriers Maori ne vivent que pour occire les ennemis qui les ont au départ attaqués. « C’est un cercle vicieux », reconnait Hongi. Une évidence qui lui viendra sur le tard, après que le réalisateur ait orchestré de multiples escarmouches là aussi plus réalistes que spectaculaires, où les guerriers utilisent leurs « mères » (bâtons plats à lame courbée) et leurs « taiaha » (lances aux pointes composées de minerais) pour fracasser le crâne ou transpercer leurs adversaires. Et oui, ils sautent aussi sur place ou tirent la langue (ils tracent aussi des cercles sur le sol avant de passer à l’attaque). C’est féroce, sans chichis, et plutôt fascinant malgré le recours à un montage haché qui nuit à la lisibilité.

[quote_center] »The Dead Lands se donne pour mission d’être digne de ces ancêtres qu’il fait revivre à l’écran. »[/quote_center]

Quant au scénario lui-même, rien ne le distingue au final d’un basique survival ou d’un film d’aventures historique : Hongi trouvera chez le fameux guerrier (interprété par le colosse Lawrence Makoare, vétéran local qui officiait sous des maquillages d’Orcs dans plusieurs Seigneurs des Anneaux) à la fois un mentor et un compagnon d’armes, au douloureux passé, et trouvera par la force de l’apprentissage et quelques remises en questions les capacités nécessaires pour triompher de ses ennemis (qui pêchent, comme dans tout bon récit initiatique, par vanité). Si la destination du voyage de Hongi n’a rien de surprenant, et que le réalisateur se laisse aller à un surplace coupable (le film a ses longueurs, indéniablement), le pouvoir évocateur de The Dead Lands est indéniable. Pour ceux qui se sentent prêts à tenter le voyage, l’originalité de l’expérience mérite qu’on s’y attarde.


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Quatresurcinq
The Dead Lands
De Toa Fraser
2014 / Nouvelle-Zélande / 108 minutes
Avec James Rolleston, Lawrence Makoare, Pana Hema Taylo
Sortie le 25 juillet 2015 en VOD, le 29 en DVD et Blu-ray
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