Même s’il n’est ici que producteur, c’est Del Toro qui déçoit avec ce conte cruel qui confond ambiance et paresse d’écriture. Qu’importe que Troy Nixey soit un dessinateur talentueux et reconnu par ses pairs. On imagine facilement les liens que l’artiste a pu créer avec un cinéaste comme Guillermo del Toro, dont les petits cahiers noircis de dessins forment à chaque fois la base de son imaginaire pelliculé. Que ce dernier soit devenu producteur (et co-scénariste) du premier est sans doute une belle preuve de confiance, mais au final, c’est avant tout Del Toro que l’on va blâmer. Sa patte est partout dans ce Don’t be afraid of the dark, qui ne risque pas de rentrer au panthéon « des films qui font trop peur », surtout quand six mois avant est sorti l’autrement plus efficace Insidious.

Un splendide écrin… et après ?

C’est un peu le même problème qu’avec Steven Spielberg, à l’époque où le wonderboy se servait du studio Amblin pour concrétiser les multiples projets qu’il n’avait pas le temps de prendre lui-même en main. L’expérience a permis de faire émerger de vrais talents, de Joe Dante à Robert Zemeckis, mais a aussi produit son lot de déceptions que l’on attribue désormais au réalisateur de Duel, les « fonctionnaires » ayant signé l’œuvre étant depuis longtemps oubliés.

C’est mal parti pour lui, mais on ne souhaite bien sûr pas le même sort à Troy Nixey. Après tout, malgré ses nombreuses faiblesses, Don’t… fait preuve d’un certain sens de l’esthétique post-gothique. Aidé par une direction artistique somptueuse de Roger Ford, pourtant plus habitué à l’esthétique éthérée et colorée de Babe et Narnia, Nixey multiplie les amples et longs mouvements d’appareil pour donner corps à son film de maison hantée, et exploite donc au mieux un décor parfaitement cinégénique. L’action ne s’écarte que rarement de la demeure gothique qui renferme dans les profondeurs de sa cave une poignée de petits êtres vindicatifs et cruels, ne vivant que pour se nourrir de dents d’enfants. Des petites souris d’un autre genre, que la petite Sally va libérer de leur ancestrale prison, énervée qu’elle est par Alex, son père, et Kim, sa nouvelle belle-mère.

De si inefficaces petits monstres

Ainsi, c’est de ces petites bestioles que doit naître la grande terreur promise par le titre (qui renvoie assez clairement à des peurs enfantines que Del Toro auscultait avec brio dans Le labyrinthe de Pan). Premier problème, face à une petite fille pas spécialement adroite et maligne (elle ne cesse de tomber et semble incapable d’utiliser ses membres pour envoyer bouler ne serait-ce qu’un seul de ces mini-Gremlins), et malgré leur surnombre, les créatures sont loin d’être efficaces, de sorte qu’on se demande comment elles ont survécu aussi longtemps. Deuxième souci, si les adultes sont bien sûr incrédules devant les raisons de la terreur de Sally, ils le sont tellement longtemps après avoir eu des preuves évidentes (comme un cadavre de bestiole que tout le monde peut voir) qu’on peut se demander s’ils ne sont pas simplement attardés mentalement.

Bien sûr, les raisons de ces incohérences criantes est simple : il n’y a pas grand-chose à raconter dans cette histoire. Les créatures veulent Sally, elles vont donc tenter de la tuer dès qu’il fait noir (car elles craignent la lumière – il suffit juste de l’ALLUMER pour s’en débarrasser !), et n’y arriveront forcément pas avant l’heure et demie réglementaire. Point. En avant donc pour les jump scares à deux francs, les attaques avortées (celle de la baignoire est un sommet dans le genre), l’enquête menée par une Kathie Holmes motivée mais guère convaincante pour découvrir la vérité sur les petites souris… Les facilités narratives s’accumulent avec tellement d’insistance qu’il devient difficile de réprimer un rire nerveux ou un facepalm pur et simple. L’intrigue de Don’t… se révèle aussi squelettique qu’un épisode des Contes de la crypte, qui compte 70 minutes de moins.

Made in Del Toro

Le spectateur s’accroche alors comme il peut aux signes distinctifs de l’univers « Deltorien » : une lourde porte composée d’une sculpture de branches d’arbres entremêlées, un jardin labyrinthique où se perd une enfant solitaire, une musique d’où jaillissent d’inquiétantes contines… Indubitablement, l’emballage « créatif » du film est d’une qualité conforme à ce que l’on pourrait attendre du réalisateur mexicain. Ce qui énerve plus, c’est le côté formaté à l’extrême d’un récit dénué d’une quelconque tension, et échouant à instaurer une mythologie crédible et évocatrice autour d’un mythe de l’enfance pourtant porteur.

[SPOILER ALERT]Comme un symbole, le dénouement s’avère à la fois cruel (les Gollum en herbe emportent avec eux la belle-mère dans les profondeurs) et complètement stupide (pourquoi les créatures n’ont-elles pas emmené Sally ? Pourquoi n’ont-ils pas cherché à sauver Kim, ou mieux encore, foutu le feu à ce puits sans fond, dont tout le monde doit désormais connaître l’existence ?). Un final raté, à l’image d’une production pourtant imaginée par l’un des créateurs les plus brillants de sa génération. Qu’importe Troy Nixey : c’est le fait que Del Toro soit derrière Don’t… qui fait, sans mauvais jeu de mots, grincer des dents.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Deuxsurcinq
Don’t be afraid of the dark
De Troy Nixey
2010 / USA / 99 minutes
Avec Bailee Madison, Kathie Holmes, Guy Pearce
Sortie le 10 juin 2012 en DVD et Blu-ray
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