On avait fini par perdre espoir que Lucky McKee puisse réaliser un jour un film qui lui ressemble. Il en avait eu une fois la chance, dès le début de sa carrière : avec le mélancolique May, le grand (près de deux mètres) réalisateur s’était vu immédiatement couvert d’éloges par la presse spécialisée. Film beau et malade, pétri d’influences (que certains des personnages partageaient même dans la fiction), révélant une actrice pas comme les autres (Angela Bettis), May a suffi pour que McKee se fasse un nom, et que les studios le repèrent.

Mais comme pour tant d’autres, cette passerelle vers le succès a été vite synonyme de renoncements et d’incompréhension : de nombreux scripts avortés, un The Woods massacré dans les grandes largeurs malgré la tentative ambitieuse de rendre hommage au cinéma fantastique ibérique, un Red en demi-teinte dont le cinéaste garde un mauvais souvenir (il s’est fait éjecter du tournage, et n’a même pas pu tourner la scène-clé du film, sorte de Gran Torino pantouflard où Brian Cox venge la mort de son chien). Ce dernier tournage aura au moins permis à McKee de se familiariser avec l’univers de l’auteur du livre d’origine, Jack Ketchum.

Le polémique romancier, dont Stephen King vante constamment les louanges, voit ses ouvrages pris d’assaut par les producteurs depuis quelques années (Red, mais aussi The girl next door, The lost et Offspring). Chantre du thriller malsain, décortiquant les pulsions inavouables d’une société moderne rongée par l’individualisme, Ketchum a du trouver suffisamment d’atomes crochus avec McKee, pour que les deux développent ensemble le projet The Woman.

Spleen caverneux

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Suite officielle d’Offspring – mais cela a au final peu d’importance -, The Woman confronte une femme sauvage (Polyanna McIntosh, incroyable), cousine lointaine et féroce du Victor de chez Truffaut, à une famille américaine dysfonctionnelle sous la coupe du père, Chris (Sean Bridgers, croisement inquiétant entre Dylan Walsh et Will Ferrell). Un sociopathe typique de la mythologie américaine : symbole souriant de la réussite familiale et professionnelle d’un côté, bigot monstrueux et misogyne de l’autre. Chris capture la Femme pour l’enchaîner dans sa cave, dans le but de la « civiliser ». Le pouvoir de l’Homme (avec un grand ou un petit H, suivant le sens que l’on peut donner à l’histoire) a cependant ses limites…

Parabole ambitieuse sur la guerre des sexes, mais aussi sur l’opposition rousseauiste entre nature et civilisation, The Woman est une indéniable réussite. On retrouve enfin intacte cette verve visuelle, ces séquences musicales où l’auteur déverse un spleen existentiel intense, qui ponctuent comme autant de respirations une histoire à la brutalité typique de Ketchum : sale, contre-nature, et envisagée comme normale par des personnages totalement dénués de compassion.

Instinct de conservation

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On devine rapidement où va aller l’histoire, malgré un mini-twist étonnant, et quel va être l’élément déclencheur du nécessaire troisième acte exutoire : nous sommes après tout dans un film d’horreur, très premier degré qui plus est. Cela n’empêche aucunement McKee de s’attarder sur les tourments de chaque membre de la famille, de la mère (Angela Bettis) qui tarde à se révolter contre les actes de son mari, au fils, graine de psychopathe dont les noirs dessins se lisent dans ses regards, en passant par sa sœur Peggy, en pleine confusion adolescente.

Multiplier les sous-intrigues rend d’autant plus efficace le dénouement si controversé de The Woman : apocalypse sanglante et nauséeuse, cette fin est synonyme de châtiment, auquel le spectateur adhère sans problème. Certains ont voulu y voir un discours des auteurs sur les différences homme/femme, le mâle devant « enchaîner » la femme pour contrôler ses pulsions, celle-ci ne pouvant in fine réfréner ses envies de le « castrer ». Cet aspect sexuel n’est jamais éludé, bien sûr : le plan final nous rappelle ainsi la pertinence de l’expression « Mère Nature ». Mais ce n’est toutefois qu’un artifice narratif, justifiant de manière immédiate la haine que nous portons envers Chris et son taré de rejeton. De manière quelque peu scolaire, The Woman nous fait comprendre que la Nature, et les enfants qu’elle engendre, obéit simplement à son instinct de conservation, et ignore les notions de Bien et de Mal. L’Homme s’affranchit lui consciemment de ces barrières pour exercer son pouvoir de domination. À le voir filmer sa Femme comme une martyre moderne, on doute que McKee, misanthrope contrarié et esthète de la solitude, mette longtemps à choisir son camp.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
The Woman
De Lucky Mckee
2011 / USA / 100 minutes
Avec Polyanna McIntosh, Sean Bridgers, Angela Bettis
Sortie le 1e mars 2012 en DVD
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