Malgré le fait qu’il semble impossible d’adapter fidèlement une BD aussi imposante, anarchiste et complexe que Judge Dredd, l’attente a été grande à l’annonce de la programmation de ce Dredd 3D, projeté en clôture de l’Étrange festival. D’abord parce qu’il permet de faire oublier (et le souvenir est resté très présent) le nanar cosmique commis dans les années 90 par Danny « j’ai flingué ma carrière pour faire comme le studio qui porte mon nom » Cannon. Il permet d’effacer de notre mémoire son Stallone vidant au bout de dix minutes un personnage iconique de toute sa substance – et de toute son armure, casque compris -, son sidekick dont les sinistres blagues parasitaient toute l’intrigue, ses costumes rococo, et plus généralement son ambiance débilo-premier degré. Dredd, version 2012, revient aux racines de la BD, sanglante et sans compromis, questionnant nos propres dérives à travers une exagération délibérée des travers de notre société moderne. Le film offre également cette perspective, entérinée par des succès comme District 9, de voir débarquer ici et là, des productions ambitieuses au budget « modeste » (on parle ici de 40 millions de dollars), financées à l’international et tournées en marge du système des grands studios (Dredd a été filmé dans de nouveaux studios en Afrique du Sud). C’est une donnée importante : cette relative indépendance permet à Pete Travis (Angles d’attaque) de pouvoir se lâcher sur les débordements graphiques, et de pouvoir ainsi rendre justice à un univers peu connu pour sa sobriété dans ce domaine.

Un concept familier

Ma-ma (Headey), une ancienne prostituée devenue baronne de la drogue… et excitée de la gâchette !

Si les intentions sont là, qu’en est-il au final ? Les producteurs Andrew McDonald et Alex Garland, collaborateurs de longue date de Danny Boyle, ont préféré se baser sur un scénario original, signé Garland, qui enferme au bout d’un quart d’heure le juge et sa recrue, la télépathe Cassandra Anderson, dans un « méga-bloc » de Mega City One, avec un gang de dealers à leurs trousses. Le choix est fait et la messe est dite : plutôt que d’explorer les recoins d’un univers aux possibilités infinies, l’équipe de Dredd a préféré jouer la carte du film de couloirs pétaradant, destiné avant tout à mettre en valeur son héros-titre, qui cette fois n’enlèvera pour rien au monde son casque.

C’est un souci plus que frustrant, Dredd se révélant être une série B tout ce qu’il y a de plus simple, suspendue à une rachitique idée de scénario applicable à n’importe quel genre, du vaudeville au film d’horreur, et qui rappelle férocement, bien que ce ne soit pas voulu, l’Indonésien The Raid. Même principe de représentants de la loi soudain mis en danger dans un univers clos où ils sont pris pour cible, même concept de remonter les étages/niveaux jusqu’au dernier, où se terre le boss final, même enchaînement de combats à un contre dix, sauf qu’ici Dredd fait avant tout parler la poudre (merci au « Lawgiver », ce fabuleux flingue multi-fonction porté par les juges). Alex Garland n’a pas à rougir de cette similarité : avant ces deux films, Le jeu de la mort partait après tout du même principe, tout comme, dans une certaine mesure, Piège de cristal.

Le juge Dredd ne renonce jamais

La juge Anderson (Thirlby) a fort à faire avec un prisonnier récalcitrant.

Excepté quelques plans aériens de Mega City One, le sentiment d’immersion dans un univers SF post-apocalyptique est donc limité, les couloirs d’un méga-HLM en béton étant peu propices à l’émerveillement visuel. Heureusement, Dredd soigne avec une attention maniaque le cœur de son action, à savoir la lutte de l’irascible juge contre des hordes de fauteurs de troubles à la sentence prévue d’avance. Imperturbable, d’un cynisme « callahanien », Dredd est conforme à son modèle dessiné, campé qu’il est par un Karl Urban qui joue du menton avec conviction, à défaut d’en avoir un aussi reconnaissable que son prédécesseur. Un autre personnage de la BD, la juge-psi Anderson, est également bien traité, la frêle Olivia Thirlby mélangeant à l’envi regards perdus et farouchement décidés qui traduisent bien les tourments d’une télépathe encore peu sûre de l’efficacité de ses pouvoirs. La nouvelle venue est Ma-Ma, leader d’un gang ultra-violent vendant une drogue appelée Slo-Mo. Scarifiée, les cheveux décolorés et la mine cernée, Lena Headey (Game of Thrones) joue les ordures au féminin avec un aplomb convaincant, bien que son personnage soit très sommairement dessiné.

Leur combat au sein du « méga-bloc » nommé Peach Trees consiste, pendant une petite heure, en un jeu de cache-cache destructeur auquel viennent se mêler d’autres juges (aucun véritable mutant ou robot en vue, dommage), des hommes de main faisant office de chair à canon, et bien sûr, pas mal d’innocents sacrifiés rappelant que l’univers de 2000 AD n’est pas apocalyptique pour rien. Il n’y a rien d’original ou de terriblement révolutionnaire là-dedans, le film n’étant pas beaucoup plus scénarisé et rythmé qu’un jeu de tir à la troisième personne entrecoupé de cinématiques narratives. Les punchlines sont expulsées à un rythme métronomique (« Les négociations sont terminées », « Le jugement arrive », ou encore, inévitablement, « La loi c’est moi »), les fusillades brèves et bourrines – notamment ce démastiquage en règle d’un étage à la mitrailleuse lourde… Dredd, comme son protagoniste principal, est expéditif, avare en dialogues et en exposition. C’est ce qui fait, finalement, tout son intérêt, le juge et ses pairs étant de facto des symboles de ce qu’une société inhumaine peut engendrer de plus fasciste, mais aussi de ses paradoxes (voir cette très étonnante séquence où Anderson rencontre la veuve d’un gangster qu’elle vient d’exécuter sur les ordres de Dredd).

Le ralenti qui pue

Une armada de juges s’invite à la fête. « Comment ça, il faut payer pour entrer ? »

Cette simplicité roborative dans l’action, cette absence de prétention dans le traitement de ce qui aurait pu être une vaste entreprise d’exposition narrative, n’est rompue que par les effets exagérément esthétisés de la fameuse drogue Slo-Mo, simple prétexte pour faire voler au ralenti des particules et des corps en suspension (ça passe très bien avec des lunettes, forcément). C’est numérique et ça pique sévèrement les yeux, surtout quand on a pas le budget d’un Matrix ou la vista d’un Zack Snyder (ahem). Les problèmes de production rencontrés par un film qui devait être terminé en 2011 sont de notoriété publique (Garland a pris les rênes du montage au détriment de Pete Travis), et on peut s’interroger sur l’impact qu’ont eu ces remous sur le résultat final, les bonnes idées surgissant ici et là sans avoir droit à l’attention qu’elles méritent (le hacker du gang et ses yeux bioniques, le passé à peine effleuré d’Anderson).

Bien que frustrant et assez générique dans sa conception (sans parler de sa BO électro-indus loin de surpasser le thème martial de Jerry Goldsmith), Dredd reflète toutefois le respect qu’ont les auteurs pour un matériau d’origine fabuleusement riche, et montre les dents avec ce qu’il faut de férocité pour laisser espérer une franchise plus épique (le mot est lâché) dans les années qui viennent.


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Europa Report de Sebastian Cordero
De Pete Travis
2012 / Angleterre-USA-Inde / 95 minutes
Avec Karl Urban, Lena Headey, Olivia Thirlby
Sortie le 13 février 2013 en Blu-Ray
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