Si vous êtes un familier de notre rubrique Pas vu au ciné (si ce n’est pas le cas, nos archives n’attendent que vous !), vous connaissez la problématique qui agite de plus en plus les distributeurs français. Face à la profusion de supports et de mode de diffusion possibles, la sortie en DTV, toujours aussi péjorative pour beaucoup, est devenue non pas un pis-aller, mais un véritable mode de distribution alternatif. Un grand nombre des productions que nous avons l’habitude de croiser ici (films asiatiques, séries B anglo-saxonnes, films de genre européens, australiens ou hispanophones qui pâtissent de leur manque de vedettes) est déjà concerné par ce choix dicté par la peur du bide sur grand écran.
La nouvelle tendance marquante, c’est la sortie progressive de productions « de prestige », pas avares en grand noms hollywoodiens, directement en vidéo, sur des bouquets d’opérateurs type Netflix ou via des cases « eCinema ». Ainsi, cette sélection de mai comporte assez de stars en tête d’affiche pour tapisser une comédie romantique de fin d’année ou un film catastrophe quatre étoiles. Certains films ont même été annoncés un temps en salles, avant « d’échouer » ici. Est-il pour autant juste de les éviter ? À part dans certains cas, la réponse est bien entendu : non !
Comme chaque mois, la sélection inclut des productions sorties à la vente et/ou à la location, en format physique ou dématérialisé. Toutes sont disponibles pour quelques euros, ou garnissent déjà sans que vous le sachiez les programmes de vos chaînes câblées. Allez : bonne lecture… et bonnes soirées vidéo !
Son of a Gun
Un film de Julius Avery, avec Ewan McGregor, Alicia Vikander
Sortie le 1er mai en VOD, le 15 juillet en DVD et Blu-ray (TF1)
Premier titre estampillé « eCinema » de TF1, Son of a Gun s’avère être, comme Miséricorde pour Wild Bunch, un essai en forme de polar « exotique », aussi classique dans son scénario qu’original dans ses origines. Venu d’Australie, ce premier film de Julius Avery pioche son inspiration dans des classiques du film de prison, le Heat de Michael Mann et les films d’arnaques pour imaginer l’itinéraire d’un jeune délinquant, JR (Brendon Thwaites, The Mirror), forcé de faire équipe avec un braqueur de haut vol, Brendan Lynch (Ewan McGregor). Leur cible : une usine de raffinage d’or. Le plan pourrait être sans accroc si JR n’était pas tombé amoureux de la « fille interdite », Tasha (Alicia Vikander, Ex Machina)… S’il n’atteint pas les cimes d’un classique récent comme Animal Kingdom, Son of a Gun se suit sans ennui malgré le fort sentiment de déjà-vu qui nous poursuit à chaque étape du scénario, grâce à une mise en scène, sèche et directe et la solidité de son casting.
À voir… si vous adorez le cinéma australien et si vous voulez voir Ewan McGregor jouer les crapules.
Lire la critique de Son of a Gun
Top Five
Un film de et avec Chris Rock, Rosario Dawson, Gabrielle Union
Sortie le 12 mai en DVD (Paramount)
Parce qu’il n’a pas vraiment trouvé de rôle mémorable au cinéma, en dehors de celui de sidekick insupportable dans L’arme fatale 4 ou de pote de beuverie pour Adam Sandler, Chris Rock est moins connu chez nous que Chris Tucker. C’est une injustice, car dans son pays, le comédien est avant tout une star du stand-up, aussi célèbre que son compère Louis C.K., qui a travaillé pendant des années avec lui à la télé. Alors que ces dernières années, Rock s’est surtout fait remarquer pour sa sitcom Everybody hates Chris, il est repassé pour la troisième fois derrière la caméra avec Top Five, comédie enlevée, où il joue André Allen, une version exagérée de lui-même. Coincé pour une journée avec une séduisante journaliste (excellente Rosario Dawson), Allen en profite pour reconsidérer son mariage avec une star de la télé-réalité, sa carrière de comique qui veut être pris au sérieux, son addiction à l’alcool… Malgré le pseudonyme du héros, Top Five est moins un film à la Woody Allen qu’une satire mi-acide, mi-romantique du show-business, avec ses anecdotes graveleuses, ses leçons de vie absurdes, et une énergie typiquement new-yorkaise. Le duo Rock-Dawson fonctionne à merveille, et même si le réalisateur-acteur se laisse parfois un peu trop aller au petit jeu des caméos en pagaille, l’ensemble est tout à fait divertissant.
À voir… si vous aimez le stand-up et les dialogues mitraillette qui vont avec (VO obligatoire !)
The Dark Valley
Un film d’Andreas Prochaska, avec Sam Riley, Tobias Moretti, Martin Leutgeb
Sortie le 15 mai en DVD et Blu-ray (M6)
Plus exotique encore que The Salvation, western danois tourné en Afrique du Sud, The Dark Valley, présenté en avant-première à l’Étrange Festival, nous vient d’Autriche et a été tourné en allemand dans le Tyrol. C’est dans ces vallées alpines impénétrables que débarque Greider (Sam Riley, Byzantium), un étranger venu d’Amérique, et qui comme le Clint Eastwood de L’homme des hautes plaines, a manifestement des comptes à régler avec la communauté paysanne qui l’accueille à contrecœur. Oh, et il a aussi dans sa besace une Winchester 73… Partant d’une idée ô combien classique, The Dark Valley prend son temps pour mettre en place un affrontement inévitable entre Greider et ses ennemis. C’est que le réalisateur Andreas Prochaska (Trois jours à vivre) est manifestement tombé amoureux des paysages qu’il filme, à la fois ensorcelants et hors du temps. Ce cadre magnifique constitue la qualité première d’un western certes brutal, mais un poil poussiéreux, sauf dans son anachronique utilisation de chansons pop dans le générique !
À voir… si vous aimez les westerns à la fois exotiques et old school.
Lire la critique de The Dark Valley
This is where I leave you
Un film de Shawn Levy, avec Jason Bateman, Tina Fey, Jane Fonda
Sortie le 27 mai en DVD (Warner)
Son nom est peu moins connu ici, mais Shawn Levy est ce qu’on appelle un « A-list director » aux USA. Artistiquement, c’est le Brett Ratner de la comédie familiale : trois Nuit au Musée, La panthère rose et Real Steel, qui avait le culot de pomper ce navet honteux (mais tellement culte) qu’était Over the top. Entre deux pantalonnades avec Ben Stiller, Levy s’est essayé au projet « prestige » avec This is where I leave you, comédie dramatique comme il en sort des dizaines chaque année. Comme dans Arrested Development, Jason Bateman joue l’élément un poil plus équilibré d’une famille dysfonctionnelle, qui revient dans sa ville natale après la mort de son père. La mère parvient à convaincre ses enfants de rester quelques jours pour lui rendre hommage… Malgré son casting solide, This is… se révèle pénible sur la longueur. La mise en scène, pantouflarde, ne fait rien pour relever le niveau d’un scénario croulant sous les clichés. Les running gags sont de niveau récré (un bébé qui fait caca, une grand-mère qui a des faux seins…), les grosses ficelles émotionnelles sont traitées sans finesse (le voisin sexy devenu handicapé mental, le grand frère qui ne peut pas avoir d’enfant…). Le film prend surtout son public pour un tas d’attardés, explicitant par les dialogues TOUS les sentiments et les dilemmes de ses personnages, qui ne sont attachants que parce qu’on aime presque tous les acteurs rassemblés ici.
À voir… si vous êtes VRAIMENT fans des stars rassemblées par Shawn Levy.
Croisades
Un film de Nick Powell, avec Nicolas Cage, Hayden Christensen, Andy On
Sortie le 27 mai en DVD et Blu-ray (M6)
Quand il n’est pas occupé à cachetonner dans des nanars catho comme Le Chaos ou des polars interchangeables, comme Tokarev, Nicolas Cage s’occupe en jouant un Templier fatigué. Dans le bien nommé Sang des Templiers, il tâtait de la sorcellerie. Dans Croisades (alias Outcast en VO), il joue Gallain, un croisé borgne et coiffé à la mode chinoise (si si), passé à l’Est après avoir vu trop de tueries. Mis en scène par Nick Powell, coordinateur de cascades reconnu, mais réalisateur débutant – et ça se voit -, Croisades marque surtout le retour à l’écran de Hayden « Anakin m’a tuer » Christensen, après 4 ans d’absences peu remarquées. Coiffé comme un accro de la tecktonik, Christensen tente de nous faire croire en fronçant les sourcils à son personnage de guerrier traumatisé et dur à cuire, plongé en Asie au milieu d’un complot visant à occire l’héritier de l’Empire. Réunis à mi-parcours, après notamment un prologue visuellement aux fraises au Moyen-Orient, Christensen et surtout Cage, visiblement pété comme une barrique, en font des tonnes pour masquer l’inanité d’un script exploitant à peine 10 % du potentiel de son pitch. Cerise sur le gâteau, tout le casting, même chinois, parle un anglais précieux totalement surréaliste. Pour éviter de sombrer, le film s’appuie, lorsque le montage permet de les voir, sur des chorégraphies de combat efficaces. Un atout logique vu le passif du réalisateur. Mais vu la qualité du reste, mieux vaut pour tout le monde passer rapidement à autre chose. Enfin, sauf Hayden (le pauvre).
À voir… si vous voulez créer de nouveaux gifs « Nicolas Cage fait n’importe quoi ».
The Words
Un film de Brian Klugman et Lee Sternthal, avec Bradley Cooper, Dennis Quaid
Sortie le 15 mai en DVD et Blu-ray (FIP)
Il aura fallu attendre trois ans pour voir débarquer chez nous cet inédit de 2012, au casting plutôt prestigieux : Bradley Cooper est l’écrivain Rory Jansen, qui lutte pour pouvoir publier ses romans, tandis que Zoe Saldana (Les gardiens de la galaxie) joue sa femme Dora. Ils peinent à joindre les deux bouts (bon, ils habitent aussi malgré tout dans un bel appartement new-yorkais) jusqu’au jour où Rory découvre dans une sacoche un fabuleux manuscrit, qu’il publie sous son propre nom. Après avoir goûté au succès, Rory croise la route du véritable auteur… Ce pitch vous rappelle quelque chose ? Normal, c’est le même que celui d’Un homme idéal, le thriller hitchcockien avec Pierre Niney qui lui se basait sur le roman Le mort saisit sur le vif, d’Henri Troyat. Nul doute que les scénaristes et réalisateurs ont jeté un œil sur l’ouvrage, tant The Words reprend à l’identique sa trame de base. Le timing se révèle mauvais pour qui aura vu le film de Yann Gozlan, et sera peu surpris par un scénario qui préfère jouer sur les temporalités et la mise en abyme, que sur le suspense. Récit dans le récit et flashbacks servent à brouiller les pistes d’un film indécis, à la fin abrupte. Reste le plaisir de revoir dans un rôle sacrément ambigu le toujours plus buriné Dennis Quaid.
À voir… si vous n’avez pas encore vu Un homme idéal.
God’s Pocket
Un film de John Slattery, avec Philip Seymour Hoffman, Christina Hendricks
Sortie le 5 mai en DVD et Blu-ray (Universal)
Si le nom de John Slattery vous évoque quelque chose, c’est que vous suiviez régulièrement la série Mad Men, où il joue le suave Roger Sterling. Acteur confirmé, Slattery a écrit et réalisé entre deux saisons ce God’s Pocket, dont le nom vient d’un quartier populaire de Philadelphie. Indice révélateur, le film est l’adaptation du premier roman de Pete Dexter, également auteur d’un Paperboy tout aussi poisseux et décalé. Le héros ici est Mickey, parieur invétéré dont la vie bascule lorsque son beau-fils Léon est tué sur un chantier. Couvert de dettes, confronté à sa femme Jeanie devenue inconsolable et à quelques gangsters, Mickey voit sa vie partir à vau-l’eau… Pour sa première fois derrière la caméra, Slattery a réuni un beau plateau d’acteurs, à commencer par Philip Seymour Hoffman (dans ce qui est pratiquement sa dernière apparition), John Turturro fidèle à lui-même, la pulpeuse Christina Hendricks, le bougon Richard Jenkins… Ces deux derniers écopent de personnages à la fois difficiles à cerner et à comprendre. En choisissant de suivre en parallèle plusieurs histoires, God’s Pocket s’égare malheureusement souvent, et dilue la force de la très macabre (et parfois très sanglante) odyssée de Mickey, proverbial héros de film noir qui balade des cadavres, perd sa fortune et sa dignité sans jamais se départir de sa bonhomie et son air résigné.
À voir… si vous aimez les chroniques urbaines désenchantées, et le regretté Seymour Hoffman.
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