Par une coïncidence révélatrice, Le labyrinthe du silence parvient sur nos écrans au moment où les commémorations autour de la Déportation battent leur plein. C’est peu dire que le premier long-métrage de Giulio Ricciarelli, comédien et producteur d’origine italienne ayant fait sa carrière en Allemagne, arrive à point nommé. 70 ans après la fin de la guerre, et la découverte de l’horreur des camps, la question de la transmission du savoir, du devoir de mémoire, dans un contexte où la parole antisémite et xénophobe se libère chaque jour un peu plus, est toujours d’actualité. Alors que la période historique de la Seconde Guerre Mondiale s’éloigne à grands pas, Le labyrinthe du silence nous ramène à une époque où l’Holocauste n’était pas encore le synonyme du Mal à l’état pur dans l’inconscient des Allemands.

Le combat d’un procureur

Le labyrinthe du silence : la justice contre l’oubli

Et il ne s’agit pas de parler ici de 1945, mais des années 50. L’Allemagne tente de reposer les bases d’une société moderne et panse ses plaies, mais le chancelier Konrad Adenauer tient à tirer un trait sur les atrocités commises par les officiers nazis, vivant sans être inquiétés dans le pays ou à l’étranger pour certains, comme le docteur Mengele. Nuremberg est un souvenir, Auschwitz un point sur une carte où se sont déroulés « des faits de guerre ». Victimes et bourreaux se réfugient dans ce « labyrinthe du silence », dans lequel s’engouffre, en 1958, un jeune procureur combatif du parquet de Francfort, Johann Radmann (Alexander Fehling, vu chez nous dans Inglorious Basterds). Soutenu par son patron, Fritz Bauer (Gert Voss), Radmann veut traduire en justice les nazis qui se sont rendus coupables de meurtre à Auschwitz. C’est, tout simplement, le seul chef d’accusation possible contre ces « fonctionnaires » qui ont trouvé un poste dans l’administration ou gardé leur fortune pendant toutes ces années. Ce faisant, Radmann ouvre une boîte de Pandore : il doit éplucher des centaines d’archives classées par les Américains, faire venir des survivants d’Israël, et retrouver la trace de ces criminels qui seront jugés, pour la première fois dans l’Histoire, par leurs compatriotes…

Le dialogue le plus éclairant du Labyrinthe du silence intervient dans le premier quart d’heure, lorsqu’un journaliste vindicatif interpelle de jeunes employés du parquet en leur demandant ce que le mot Auschwitz leur évoque. Nous sommes en 1958 et l’unanimité est effrayante : les nouvelles générations ont mis des œillères sur un passé pourtant proche, et enterré la possibilité que des millions de prisonniers aient trouvé la mort dans les camps polonais. Plus tard, quand Radmann rencontre son premier témoin, un survivant borgne et laconique, c’est de l’absurde que surgit l’émotion : à la question naïve du procureur (« pouvez-vous me donner le nom des victimes ? »), il répond agressivement : « Êtes-vous idiot ? Il y en a eu des centaines de milliers ». Aussi démonstratifs qu’ils soient, ces dialogues constituent une part de la richesse du film, qui s’encombre de peu d’effets de style pour souligner le décalage assourdissant d’une nation vivant ingénument dans l’ombre du plus grave génocide de l’Histoire.

Le poids d’un terrible héritage

Le labyrinthe du silence : la justice contre l’oubli

Cette sobriété a le défaut d’enfermer Le Labyrinthe du silence dans une sorte de classicisme qui peut être rebutant. Les montages musicaux couvrant par une partition tire-larmes les témoignages des déportés, la romance cousue de fil blanc de Radmann, les révélations opportunes sur le passé de son père mort sur le front russe, les scènes de cauchemar soulignant au marqueur rouge l’obsession du procureur pour le maléfique Mengele… Des grosses ficelles un peu voyantes, qui viennent diluer la force d’un récit conçu comme une enquête à grande échelle, plus qu’un film de procès (que nous ne verrons jamais) comme le Music Box de Costa-Gavras. Un long voyage dans la mémoire d’une nation déchirée, où notre guide est un grand échalas blond et athlétique, personnage imaginaire (contrairement à Fritz Bauer) interprété par un sosie de Christopher Nolan – sérieusement, la ressemblance est troublante !

[quote_center] »Aussi démonstratifs qu’ils soient, les dialogues constituent une part de la richesse du film. »[/quote_center]

En chemin, le scénario prendra le temps de poser les bonnes questions : peut-on supporter le poids de l’héritage, ce vide moral vers lequel le procès voulu par Bauer et Radmann précipite les descendants d’une génération où personne ou presque n’était véritablement innocent ? Peut-on reconstruire une nation sur le terreau d’un traumatisme national, ou faut-il, comme le préconisent les antagonistes qui bloquent à de nombreuses reprises l’enquête de Johann, laisser l’Allemagne panser ses plaies et jeter une chape de plomb sur un passé honteux ? Enfin, et c’est là le cœur du film, la justice pour une poignée d’accusés (ils seront une vingtaine en tout sur le banc, alors que 8 000 personnes travaillaient dans les camps d’Auschwitz) peut-elle être à la mesure d’un crime contre l’humanité ? Ces interrogations sont universelles, et le fait qu’elles se posent toujours aujourd’hui dans plusieurs pays du globe prouve à quel point le propos, et par extension le film de Ricciarelli est nécessaire.


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Troissurcinq
Le labyrinthe du silence (Im Labyrinth des Schweigens)
De Giulio Ricciarelli
2014 / Allemagne / 120 minutes
Avec Alexander Fehling, André Szymanski, Gert Voss
Sortie le 29 avril 2015
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Crédits photos : © Universal International Pictures Germany / Heike Ullrich