Conclusion d’une franchise passionnante, Dossier 64 met l’amitié des deux détectives à rude épreuve. Un thriller solide, sordide, mais pas totalement désespéré.
La découverte, à Copenhague, de trois squelettes autour d’une table enfermés dans une chambre secrète, amène l’inspecteur Carl Mørck (Kaas) et Assad (Fares) à exhumer le passé de l’île de Sprogø, et du docteur Curt Wad. Le duo est au bord de la rupture, après qu’Assad ait révélé vouloir changer de service. Toujours aussi lapidaire et renfrogné, Carl se renferme encore plus sur lui-même et plonge tête baissée dans le boulot, au grand dam de leur discrète assistante, Rose (Louise Schmidt), tandis qu’une ancienne « résidente » de l’île refait surface.
Si les précédentes enquêtes du Département V étaient au mieux tirées de faits divers ayant fait bouillir l’imaginaire de l’écrivain, Dossier 64 s’inspire lui d’une d’une page sombre de l’histoire du pays. Celle de l’île de Sprogø, siège entre 1922 et 1961 d’un asile destiné aux femmes considérées comme « débiles » ou « impures », ayant des grossesses hors mariage. Après l’enlèvement d’enfants, le harcèlement et les meurtres misogynes, cet épisode traite donc de thèmes aussi terribles que l’eugénisme et la stérilisation forcée. C’est une marque de fabrique de la franchise, avec laquelle les producteurs n’ont jamais transigé : si l’effet d’accumulation pousse presque l’ensemble vers la caricature, Dossier 64 est bel et bien aussi noir et sordide que ses prédécesseurs, et justifie la moue perpétuellement abattue et maladive de Nikolaj Lie Kaas. Toujours au bout du rouleau, jamais vraiment démissionnaire, l’inspecteur Mørck porte tout le poids des maux du Danemark sur ses épaules, et n’est jamais avare d’une saillie désagréable pour envoyer paître ceux qui voudraient l’aider. Cela va de ses collègues, qu’il dénigre sans détour (« Ce type met des lettres dans ses sudokus ») aux témoins qu’il rencontre, comme le gardien d’île complotiste. Dans cette équation, Assad est le contrepoint indispensable, la force tranquille et inébranlable sans laquelle Carl ne serait qu’un croisé solitaire et possiblement suicidaire. Autant dire que la perspective de voir ces deux-là se séparer offre à Dossier 64 un fil rouge assez intrigant à suivre.
Un dernier complot pour la route
Jonglant, comme ses prédécesseurs, entre le passé et le présent, et entre plusieurs pistes et intrigues qui finissent par se recroiser, Dossier 64, toujours co-scénarisé par Nikolaj Arcel, offre pourtant une conclusion linéaire à une franchise qui ne manque pas d’ampleur. Malgré un thème fort s’appuyant sur d’épouvantables faits historiques, Christoffer Boe, cinéaste récompensé à Cannes et faisant ses premiers pas dans le cinéma véritablement mainstream , se contente de perpétuer une formule qui a fait ses preuves, avec un maximum de soin certes, mais sans excès de confiance. Après un Délivrance solaire, aux décors étonnants, Dossier 64 retourne à une ambiance de polar pluvieux et nocturne, avec des teintes hivernales qui s’avèrent pertinentes lorsque débute le dernier acte, celui où la machination à l’œuvre se dévoile à Carl et Assad.
S’il fait frissonner de malaise, le grand vilain de cette histoire s’avère moins mémorable que les bourgeois sadiques de Profanation et le serial-killer de Délivrance, tout simplement parce qu’il reste plus caricatural et unidimensionnel que ses compères. Un manque de « flamboyance » qui n’empêche pas les enquêteurs d’avoir du fil à retordre, à la fois à cause de leur relation conflictuelle et d’une société qui semble se donner le mot pour leur dissimuler tous ses secrets et traîtrises. En creux, les Enquêtes du département V désossent une fois de plus avec entrain les paradoxes et l’hypocrisie latente d’une société danoise pas si progressiste et inclusive qu’elle n’y paraît. Carl et Assad en sont les infatigables pourfendeurs, et Dossier 64 leur offre une sortie à la fois naïve et désarmante de simplicité, comme un dernier répit assumé avant, on l’imagine, qu’ils ne repartent bille en tête à l’assaut d’une autre conspiration…