Projeté au centre d’une sacrée tempête médiatique en décembre dernier suite au piratage des données de Sony Pictures, devenu l’étendard d’une certaine liberté d’expression à l’américaine, L’interview qui tue ! a depuis longtemps laissé tomber le rideau sur ce qui était pourtant une évidence : le nouveau méfait du tandem Rogen / Goldberg est une pochade tout à fait inoffensive, impossible à prendre une seconde au sérieux. Que pouvaient espérer ceux qui naïvement, s’attendaient à une charge corrosive contre la Corée du Nord ? Rappelons que le précédent opus de Rogen et sa clique étaient C’est la fin, délire égocentrique en roue libre, qui compensait ses gags réussis par des impros interminables entre acteurs persuadés de leur invincible génie comique.

[quote_center] »Rogen et Goldberg ne poussent pas plus loin que nécessaire le bouchon de la caricature. »[/quote_center]

L’interview qui tue ! n’a pas plus envie de disserter sur les conditions de vie des Nord-Coréens que Luc Besson d’arrêter le cinéma. Cette comédie moins subversive que convaincue de son bon droit projette tous ses efforts dans l’exploitation d’un pitch aussi rigolo que (prenons une voix grave) provocateur. Sur le papier. Seth Rogen et son buddy pour la vie James Franco incarnent donc ici un producteur et le présentateur d’une émission de télé trash et people, qui trouvent le moyen de décrocher une interview avec Kim Jong-Un (l’excellent Randall Park), en direct de son QG secret en Corée du Nord. La CIA profite de l’aubaine pour leur demander, en toute simplicité, de tuer le dangereux dictateur, à l’aide d’un puissant poison. Rapaport et Skylark (c’est leur nom) étant aussi incapables que les Charlots s’attaquant à Dracula, le plan foire assez rapidement, d’autant que le dit président mégalo s’avère être un fils à papa complexé et carrément décadent.

America F*** yeah !

L’interview qui tue : les Charlots à Pyongyang

Malgré son bagout et son indéniable sens de la formule, le duo Rogen / Goldberg n’est pourtant pas le premier à s’attaquer au régime cloisonné de la Corée du Nord à travers une farce politiquement incorrecte. Certains cinémas américains, dont l’Alamo Drafthouse, avaient malicieusement choisi en décembre de remplacer les séances prévues de L’interview qui tue ! par… des séances de Team America, l’OVNI foutraque et sacrément rentre-dedans de Trey Parker et Matt Stone. Un film complètement anarchiste pour le coup, où tout le monde, de Kim Jong-Il à Matt Damon, en prenait pour son grade y compris et surtout la société de consommation américaine. L’émission de Skylark a beau être une caricature d’émission people imaginée par des guignols aussi atrophiés du bulbe que leurs millions de spectateurs, Rogen et Goldberg ne poussent pas plus loin que nécessaire le bouchon. Skylark et son producteur servent surtout de prétexte à deux acteurs s’entendant comme larrons en foire pour perfectionner leur numéro comique dans un nouveau contexte narratif, un peu comme un nouvel épisode d’Abbott et Costello (ou Depardieu et Pierre Richard). Si Saddam n’avait pas cassé sa pipe, sans doute seraient-ils partis en Irak, avec des conséquences similaires.

Ainsi, plus que le jeu de dupes qui s’installe entre Skylark et Kim, entre qui naît une improbable bromance à base de Katy Perry et de petits chiots, ou que la romance tout aussi invraisemblable entre Rapaport et l’officière chargée de communication Sook (Diana Bang), ce qui importe le plus ici, c’est la fréquence régulière des gags gras et si possible sexistes. Utilisation d’un missile pour le moins phallique, pets mortels, allusions sexuelles déplacées innombrables : L’interview qui tue ! ne fait pas dans la subtilité, avec un côté décomplexé qui tranche avec les accès de violence franchement gore parsemant le film. Les membres s’arrachent et les têtes explosent avec un luxe de détails qui détonne dans un film censé être « léger ».

Un message qui passe mal

L’interview qui tue : les Charlots à Pyongyang

Ce mélange des genres carrément bancal n’a pourtant pas de raisons de déranger plus que cela si l’on n’est pas allergique à l’humour de ce tandem post-Apatow. Plutôt bien mené, raisonnablement divertissant et doté d’assez de moyens pour assurer un spectacle crédible, L’interview qui tue ! fait plus grincer des dents au moment de sa morale finale, légèrement déplacée dans le cadre d’une comédie aussi saugrenue. [SPOILERS] Venant d’un pays comme les USA, il est assez embarrassant de comprendre, comme les dernières minutes nous l’enseignent, que l’élimination pure et simple d’un dictateur dans un pays étranger (donc une ingérence politique majeure) est l’unique chemin possible vers « l’éveil » de celui-ci à la démocratie. C’est assez léger, réducteur, et surtout gonflé venant d’un pays étant parti à plusieurs reprises en guerre pour imposer cette vision simpliste de la « paix entre les peuples » à grands coups de bombardements aériens.

Mais soyons réalistes : ce n’est certainement pas cette portée-là que Rogen et ses potes avaient en tête lorsqu’ils ont entamé la production de L’interview qui tue ! Qui sait, peut-être qu’après le « Sonygate » de 2014, ils se sentiront pousser des ailes de contestataires politiques ? Naaaan, on déconne.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Deuxsurcinq
L’interview qui tue ! (The Interview)
De Seth Rogen et Evan Goldberg
2014 / USA / 110 minutes
Avec James Franco, Seth Rogen, Randall Park
Sortie le 28 janvier 2015
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