Mort ou Vif : le nouveau western a déjà 17 ans !

par | 13 septembre 2012

En attendant Django Unchained, hommage à un représentant précurseur du « spaghetti post-moderne ».

Mort ou vif aurait pu être un coup de grâce pour le jovial Sam Raimi. À l’époque, cette grosse production censée redonner un coup de fouet au genre du western, enterré avec les honneurs par Eastwood lui-même, est un pari de taille pour le futur réalisateur des Spider-Man, qui ne compte aucun « vrai » succès public à son actif (Darkman et Evil Dead 3 ayant pour le moins déçu leurs producteurs). The quick and the dead (titre original) a l’honneur d’être présenté hors-compétition au festival de Cannes. L’effet Sharon Stone, sans doute, qui en 1995, bénéficie encore des ondes positives post-Basic Instinct. Mais le film fait un four : à peine 18 millions de dollars de recettes, auxquelles s’ajoutent des critiques guère tendres avec les tentations post-modernes de Sam Raimi. Comme Wyatt Earp, comme les quelques autres tentatives de la décennie de faire rimer revolver et box-office, celle-ci se solde par un échec sans appel. Une sentence injuste, et un coup dur pour Raimi, qui attendra trois ans avant de repasser derrière la caméra. Mort ou vif souffre sans doute d’avoir été en avance sur son temps. Lapalissade ? Pas vraiment : à l’heure où Costner et Eastwood dissertaient sur la frontière ténue entre légende et réalisme, Sam Raimi osait ressusciter les grandes figures du western spaghetti, confirmer son penchant pour les plans impossibles et ultra-millimétrés, et faire de son sex-symbol féminin un Django en cache-poussière, blonde comme les blés et rapide comme l’éclair. Okay, Johnny Guitare était là avant, mais franchement, n’était-ce pas du jamais vu dans le genre ?

Une femme dans la ville

Soit donc une femme sans nom, débarquant un beau matin dans la petite ville de Rédemption, un trou perdu écrasé sous le soleil où un tyran nommé John Herod règne sans partage. Celui-ci ameute chaque année les meilleurs tireurs de l’Ouest, à l’occasion d’un concours de duels dont il écrit lui-même les règles. A la clé, la somme énorme de 123 000 dollars pour le vainqueur. Notre héroïne est bien sûr venue pour le tournoi, tout comme le Kid, le propre fils d’Herod, que celui-ci refuse de reconnaître ; le taciturne sergent Cantrell (« vous écrivez ça comment ? » lui demande-t-on au moment des inscriptions. « Sans faute » répond-t-il en fumant sa pipe) ; ou bien Ace Hanlon, un magicien vantard et haut en couleurs qui se prétend aussi bon d’une main que de l’autre. Une faune hétéroclite et particulièrement dangereuse, donc, attirée par l’appât du gain. La femme sans nom, elle, a plutôt un compte personnel à régler avec Herod : une vengeance qu’elle prépare et rumine depuis vingt ans…

Première originalité et pas des moindres, donc, dans le rôle typique du western à l’italienne, celui de l’étranger arrivant en ville avec un passé à découvrir et un objectif secret à accomplir, c’est une femme que la caméra accompagne dès les premières minutes. Stetson vissé sur la tête, santiags clinquantes et regard d’acier, Sharon Stone n’a jamais été aussi belle et iconique que dans ce rôle, pas vraiment à la portée de n’importe quelle actrice (revoyez le pitoyable Belles de l’Ouest pour vous en convaincre). L’incongruité totale du personnage, une femme libre, déterminée, douée au pistolet et habillée comme un homme en plein Ouest sauvage, est intelligemment mise en abyme par les réactions même qu’elle provoque lors de son arrivée. Entourée d’hommes soudain décontenancés par cette inversion des valeurs, la miss Stone joue du poing et des répliques pour se faire respecter, avec d’autant plus d’aplomb qu’Herod lui-même l’a vite remarqué, et soupçonne dès lors un double jeu derrière sa participation au tournoi. Tous ont, d’une manière ou d’une autre, une idée derrière la tête, un mensonge à cacher, une vérité à prouver. La mise au point se fait à chaque fois par les armes, dans un cadre (la rue centrale de la ville, sous l’horloge) à chaque fois identique, mais dans des conditions (visuelles, temporelles, narratives) à chaque fois différentes. Tous les personnages, secondaires ou non, tels l’Indien indestructible qui se relève encore et encore malgré les balles, ont droit à leur moment de gloire, dans une farandole de séquences autonomes proprement jubilatoire.

Au son des barillets

L’un des nombreux points forts de Mort ou vif reste d’ailleurs son casting, amoureusement assemblé par un Sam Raimi, qui offre à Woody Strode son dernier rôle en guise de figure tutélaire, et à l’énorme Gene Hackman, une version encore plus dégénérée de son personnage dans Impitoyable. Bruce Campbell sera malheureusement coupé au montage, mais le plaisir reste grand de voir des acteurs tels que Gary Sinise ou Lance Henriksen jouer les guest-stars de luxe. C’est par contre à Sharon Stone, productrice du film, que l’on doit le choix judicieux de caster Russell Crowe, alors inconnu, dans le rôle de Cort, l’ancien bras droit de Herod devenu prêtre, et de payer de sa poche le salaire de Leonardo di Caprio pour qu’il cabotine comme son père virtuel dans les habits du Kid. Avec le temps, ces paris artistiques ont transformé Mort ou vif en rencontre unique en son genre.
Mais l’essentiel, comme toujours dans l’œuvre de l’enfant du Michigan, réside bien entendu dans le style même du film. Bien aidé par la somptueuse photo de Dante Spinotti (sans doute le meilleur directeur de la photographie de la planète, mais c’est un autre débat), Sam Raimi ne change aucunement son fusil d’épaule en investissant les décors de Rédemption. Sa caméra se met au diapason du script osé et ultra-référencé de Simon Moore (Traffic), en investissant chaque scène, chaque réplique, comme si c’était la dernière. L’urgence frénétique du montage, des zooms intempestifs, des dialogues qui claquent comme les barillets des concurrents, contamine bientôt le spectateur, saisi, comme le cadre lui-même, de vertige, face à la violence déraisonnée, tantôt cartoonesque, tantôt douloureuse, qui s’empare de la bien-nommée Redemption.

Dans un flash-back léonien, Ellen se remémore le décès de son père, juché sur une croix, la corde au cou, malmené par la bande de Herod. Il était une fois dans l’Ouest, oui, pas de doute, mais un Ouest aux allures de purgatoire en attente d’être pulverisé par une colère divine. Ce n’est pas un hasard si le maître des lieux, tyran infanticide et paranoïaque retranché dans sa baroque demeure, se nomme John Herod : dans l’Antiquité, le roi Hérode était un dictateur placé par les Romains a la tête de Jérusalem, et c’est lui qui, pour éviter la venue du « roi des Juifs », fera assassiner tous les enfants de moins de deux ans de la ville.

Un classique sans héritier

Ces multiples références pourraient alourdir le propos : elles ne font au contraire que donner une singularité accrue au film de Raimi, tout entier voué à sa bizarrerie fantasque, à son étrange dimension oedipienne (Herod a, presque malgré lui, retourné contre lui tous ses héritier(e)s spirituels et familiaux, de Cort à Ellen en passant bien sûr par le Kid). Elles lui donnent aussi l’un des méchants les plus grandioses de l’histoire du western, une pléiade d’effets visuels inhabituels dans ce contexte, une absence totale de vérisme historique qui doit beaucoup aux aventures intemporelles tricotées par Corbucci, Tessari et leurs collègues des sixties.

 Tout le contraire de Deadwood ou de True Grit, donc, bien mieux tombés que Mort ou vif en termes de plébiscite public et critique. Leur héritage n’a sans doute rien en commun. Le « western moderne » se partage ainsi entre un retour, à peine constellé de quelques transgressions, aux codes de l’âge d’or hollywoodien, et une modernisation contre-nature du genre, qu’il flirte avec d’autres périodes temporelles (No country for old men, Red Hill) ou partouze carrément avec des cousins inattendus (le panasiatique Warrior’s Way, le film d’horreur The Burrowers, ou encore Cowboys vs Aliens).

Respecter les codes et l’imagerie en vigueur, ce n’est assurément pas l’objectif de The Quick and the dead, ronde de mort burlesque et spectaculaire qui n’a aucun vrai héritier – attendons de voir ce que propose tout de même Quentin Tarantino avec son propre Django, mais qui assure à elle seule la postérité du genre « spaghetti post-moderne ».

 Article modifié paru à l’origine sur www.dvdrama.com