Michel Hazanavicius et Jean Dujardin n’ont jamais eu l’intention de se reposer sur leurs lauriers après le succès des OSS 117.Au contraire, ils se sont lancés avec une ferveur de vrais cinéphiles dans un projet délirant, qui risquait à tout moment de virer dans la nostalgie passéiste ou la blague intégrale à la Mel Brooks, auteur du dernier film (à 99 %) muet en date, le bien-nommé Silent Movie. Du générique au plan final, The Artist est un film muet, comme on en fait plus depuis bientôt 80 ans. Cela aurait pu être un gimmick. Un concept sans profondeur. Mais tel un équilibriste touché par la grâce, Hazanavicius se fait le metteur en scène de la reproduction idéale d’une époque fondamentale, tout en dépassant ce stade pour devenir un grand film moderne, une réflexion émouvante sur l’art et ce qu’il représente à notre époque.

Méta-artiste

George Valentin (Jean Dujardin), tourne symboliquement le dos à son avenir…

Signe de cette ambition méta tout à fait jouissive, The Artist n’est pas, comme le créateur du Grand détournement le souhaitait à la base, un film d’espionnage sans dialogues. C’est un mélodrame qui se déroule à Hollywood, au crépuscule des années 20, alors que le cinéma muet vit ses dernières heures et le krach menace. On se croirait dans Sunset Boulevard, et le personnage de George Valentin, n’est d’ailleurs pas loin, dans l’intention, de la Norma Desmond de Billy Wilder. Toutefois, en star du film d’aventures qu’il est, Valentin ne peut se départir de sa morgue et de son dédain pour la nouvelle technologie du parlant. Il va se retrouver condamné à habiter un univers qui s’évapore autour de lui, où, littéralement, il ne peut plus se faire entendre. Sa chute vertigineuse est racontée en même temps que l’ascension fulgurante de la jeune et pétillante Peppy Miller, une starlette qui a su saisir sa chance.

Un film muet qui nous raconte la fin du muet : quoi de plus idéal pour se jouer ses techniques du cinéma ? Hazanavicius et son chef op’ Guillaume Schiffman s’étaient déjà fait plaisir en récréant avec un sens du détail ébouriffant l’esthétique pop et colorée des sixties. Ils prennent une fois le plus leur sujet à bras le corps en reproduisant, vision de classiques d’époque à l’appui, la lumière, le jeu d’acteur, le format carré et les choix de montage (les films muets doivent alterner plans d’ensemble où l’histoire se raconte avant tout visuellement, et plans serrés où vont s’insérer les panneaux de dialogues) de cette période où chaque film permettait d’ouvrir un peu plus le champ des possibles d’une industrie à ambition planétaire.

Planète Hollywood : les origines

Peppy Miller (Bérénice Béjo), pétillante starlette avec un cœur gros comme ça…

Tourner sur les lieux même de l’action (dans les villes factices de Warner et Paramount, à Los Angeles) permet d’immerger dès le début le spectateur dans un univers à la fois si familier et si lointain, que les premières minutes tiennent du rêve éveillé (pour peu que l’on ne fréquente pas assidument les cinémathèques). Le lettrage du générique, les gros plans cadrant des visages surexpressifs, l’importance capitale du clair-obscur pour définir les tourments des personnages… En retournant aux ainsi origines, Hazanavicius rappelle aussi aux fonctionnaires de la caméra qui l’auraient oublié à quel point le cinéma a toujours été un art total, même lorsqu’il «  ne lui manquait que la parole ».

Comme nous l’avons dit, cet exercice de style, pour culotté et virtuose qu’il soit, n’est pourtant pas une fin en soi. Nous pensons d’abord que Valentin est cet artiste flambeur, irrésistible showman qui en rajoute autant à l’écran que sur les scènes où il se produit. Mais, au fur et à mesure que l’intrépide Peppy prend sa place dans l’histoire, que nous assistons au dévoilement de multiples coulisses de tournage, où s’agitent maquilleurs, décorateurs, clapmen et scénaristes, il devient évident que le grand « A » englobe toute une profession. Plus que l’histoire d’un artiste, c’est une célébration fellinienne de l’Artiste à laquelle nous assistons.

Comment expliquer autrement l’importance du fil rouge métaphorique tissé autour de la « disparition » progressive de Valentin, héros (in)conscient de sa propre épopée, de son propre univers ? SPOILER ALERT Il devient par exemple, dans un moment évocateur fabuleux de simplicité, l’ombre de lui-même et même moins encore. S’il tente de disparaître définitivement en même temps que le celluloïd par lequel il s’est créé, il va renaître d’abord via la vision de photogrammes tremblotants (ce sont des prises ratées, mais qui immortalisent une romance naissante) puis par la grâce d’un autre talent jusque là sous-exploité mais intemporel (les claquettes). Faut-il souligner que c’est à cet ultime instant que Hazanavicius choisit de briser pour de bon le quatrième mur et de faire entendre l’organe de Valentin, pour un échange qui résume bien le propos des artistes derrière la véritable caméra (« – Vous pouvez la refaire ? – Avec plaisir »), en même temps qu’il donne une justification réelle à la barrière orale qui empêchait Valentin de faire du cinéma parlant (avec l’accent français, la réplique donne « wiz plaissure »). VOUS POUVEZ REVENIR.

In the mood for Dujardin

Abandonné, bientôt oublié, Valentin va-t-il pouvoir revenir dans la lumière ?

Pour réussir à coup sûr son pas de deux avec un spectateur pouvant certes être attiré par la fraîcheur et l’audace du projet mais loin d’être familiarisé à la vision d’un film sans paroles, Hazanavicius avait un atout maître dans sa poche : Jean Dujardin, notre Sean Connery à nous. Son sourire élastique, son jeu physique, sa faculté d’adaptation lui ont permis de créer un George Valentin d’anthologie, clone français certifié de l’idole Douglas Fairbanks, affublé d’un chien presque aussi impressionnant dans son rôle de Milou infatigable. Jouant du sourcil comme personne, Dujardin se dépasse à tous les niveaux, maniant à la perfection tempo comique et passages dramatiques poignants, particulièrement lors de sa prise à répétition avec Bérénice Béjo, parfaite en proto-Marlène Dietrich pas si facile à cerner.

Leur aventure conjointe se révèle linéaire, comme nombre de productions de l’époque. Elle ne constitue toutefois que le vernis, familier et touchant, d’une production par-dessus tout avant-gardiste, follement profonde et conceptuelle en même temps qu’elle sert de madeleine proustienne express pour nous rappeler pourquoi, quelle que soit sa forme, le cinéma a toujours été l’art du futur.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Cinqsurcinq
The Artist
De Michel Hazanavicius
2011 / France / 100 minutes
Avec Jean Dujardin, Bérénice Béjo, John Goodman
Sortie le 12 octobre 2011
[/styled_box]