The Beekeeper : Stathameries et pots de miel
Derrière son concept cintré d’agents secrets apiculteurs, The Beekeeper garde intacte la recette du « Jason Statham movie ». En plus idiot.
À une époque où le héros de film d’action tient du croisement entre le métrosexuel flegmatique à la Timothée Chalamet ou Ryan Gosling, et l’armoire à glace torturée façon Chris Hemsworth, la filmographie de Jason Statham tient de la valeur refuge pour les nostalgiques de temps plus simples, outrageusement musclés et virils. À plus de 55 ans, l’acteur britannique continue d’être la star de son propre sous-genre. Celui du DTV bas du front maquillé en série A, où l’on ne cause que pour sortir des punchlines, où les méchants n’ont aucune circonstance atténuante pour être de fieffés salauds, et où Statham lui-même s’interdit d’avoir accès à plus de deux expressions faciales. Auréolé d’un beau succès outre-Atlantique (où il a dépassé le score d’Expend4bles, pas difficile ceci dit), The Beekeeper, sa dernière démonstration de force, passe en France par la case Prime Video – ce qui n’est en rien un scandale, au vu de l’originalité toute relative de ce thriller qui aurait fait fureur s’il était sorti en 1992.
Touche pas à ma ruche
Comme son titre l’indique, The Beekeeper cause de miel et d’abeilles. Car aussi saugrenu que cela puisse sonner, Jason Statham joue un apiculteur nommé Adam Clay, qui cultive son miel et s’occupe de ses ruches sur un bout de terrain loué à une gentille retraitée dans la campagne américaine. N’espérez pas voir une amorce de drame pastoral malickien : au bout de 5 minutes, l’intrigue est expédiée quand la dite retraitée, ruinée, se suicide après avoir été escroquée en ligne par des cybercriminels sans scrupules. Oui, c’est plutôt radical. Adam n’a pas le temps de verser une larme (interdiction d’être ému, on vous dit) qu’il part dans une opération vendetta sans pitié. Car voyez-vous, Adam est un adepte de la métaphore filée : il est apiculteur, oui, mais il est surtout un ancien membre du programme des Apiculteurs, des agents secrets surentraînés chargés de protéger la ruche (les States, quoi) des « frelons » qui voudraient l’attaquer. Une belle allégorie du monde animal (non) pondue par le scénariste d’Ultraviolet et Expend4bles Kurt Wimmer pour redonner un peu de couleurs et de saveurs à un menu typique du Stat’ : un grand bol de torgnoles, une rasade de clés de bras et une tartine de membres tranchés sans ménagement.
« Il y a quelque chose d’inévitablement jouissif à voir l’indestructible Jason s’en prendre à des cyber-voyous qui auraient trop regardé Le loup de Wall Street. »
Soyons honnêtes : malgré la stupidité assez incroyable du script de The Beekeeper, qui tente si fort de justifier ses analogies entre Statham et le monde des abeilles que vous apprendrez autant de choses sur elles qu’en regardant Discovery Channel, il y a quelque chose d’inévitablement jouissif à voir l’indestructible Jason – à la limite de se parodier lui-même – s’en prendre à des cyber-voyous qui auraient trop regardé Le loup de Wall Street. Des arnaqueurs qui s’en prennent à des seniors, « c’est pire que s’en prendre à des enfants » pour Adam Clay – qui n’aura besoin que de quelques coups de fil pour trouver les coupables, faire exploser leur centre d’appels et trancher la main de leur boss avant de l’attacher à son pick-up pour une plongée fatale. C’est la partie la plus « John Wick », et la plus cohérente, d’un film qui s’enferme ensuite dans une escalade narrative complotiste et des révélations à la 24 heures chrono jusqu’à s’en faire péter la ruche. Sans parler des dialogues – mon Dieu, les dialogues ! Poursuivi par un pathétique duo d’agents du FBI (dont la propre fille de la victime, affreusement jouée par Emmy Raver-Lampman), par une autre Apicultrice assez bête pour dégainer un minigun dans une station-service, et par tous les hommes de main que les véritables responsables de ces arnaques mondialisées (l’improbable duo Josh Hutcherson – Jeremy Irons !) envoient à ses trousses, Statham encaisse pourtant à peine quelques bleus dans sa croisade mielleuse.
Derrière la caméra, le si inégal David Ayer (pour un Fury, combien de Suicide Squad et Sabotage ?) parvient à donner du rythme et un semblant de punch à des scènes d’action trop brèves, chaotiques et invraisemblables pour marquer les esprits. Excepté un duel en un contre un sanglant et énervé dans le climax (où brille l’impressionnant Taylor James, déguisé comme un personnage de jeu vidéo à la Street Fighter IV), The Beekeeper se contente du minimum syndical. C’est surtout l’idiotie assumée de l’ensemble qui reste en tête, le film s’aventurant avec une vraie inconscience en terrain politique conservateur : notre Apiculteur s’estime en fin de compte, comme pas mal d’Américains républicains à la gâchette facile, en droit de régler tout seul les dérives et la corruption de « sa » ruche. Dans une Amérique post-invasion du Capitole, ce message implicite niché au sein d’un divertissement involontairement drôle et couillon, a le droit de nous faire tiquer.