D’ores et déjà un succès historique en Corée du Sud, et dernier titre en date d’un été marqué par les sorties inespérées sur grand écran de films comme The Strangers et Man on High Heels, Dernier train pour Busan marque l’arrivée tonitruante dans le cinéma « live » d’un des réalisateurs les plus prometteurs du pays, Yeon Sang-Ho. Sans doute l’un des secrets cinéphiles les mieux gardés récemment, la filmographie de cet admirateur de Satoshi Kon est restée jusqu’à présent intégralement inédite en France. Trois films d’animation (The King of Pigs, The Fake et Seoul Station, préquelle officielle de Dernier train pour Busan), se sont succédé, confirmant la nature intransigeante, revendicatrice et enragée de son cinéma. Busan est son premier gros budget à caractère commercial, le premier long-métrage aussi dont il n’est pas l’auteur (le scénario est l’œuvre de Park Joo-Suk – Monster Boy). Mais malgré les contingences propres à ce qui reste un pur film d’entertainment autant porté sur les frissons que sur le grand spectacle, le réalisateur parvient à faire de ce film ayant créé l’événement en séance de minuit à Cannes, une œuvre fidèle à son univers brutal et désabusé, ainsi qu’une démonstration stylistique épatante.

L’apocalypse est arrivée en gare

Dernier train pour Busan : à bord du zombie express !

Des films de zombies, vous en avez tous vu, peut-être trop. La déférence avec laquelle Dernier train pour Busan traite les clichés du genre n’est pourtant qu’une façade rassurante. Derrière son respect des figures clés du mort-vivant post-L’armée des morts (ou post-28 jours plus tard), Sang-Ho fourmille en réalité d’idées pour réactiver la dimension politique du zombie, née avec George Romero, tout en tentant – avec malice – de les distinguer du tout-venant : ils sont ainsi aveugles dans l’obscurité, et ne se jettent que sur ce qu’ils peuvent voir. Mais bien entendu, ce qui distingue le plus Dernier train pour Busan de concurrents bien timides en comparaison (coucou, World War Z), c’est la géniale simplicité de son idée conductrice : faire embarquer zombies et survivants à bord d’un seul et même train, un KTX – le TGV local, construit par Alstom s’il vous plaît ! -, sans qu’il soit possible de descendre avant sa destination finale.

[quote_center] »le film prouve qu’il est encore possible de brosser une galerie de personnages crédible et attachante. »[/quote_center]

Dernier train pour Busan débute comme n’importe quel film catastrophe : les premiers signes d’une épidémie grave (une biche se relève après avoir été écrasée, des bagarres débutent aux quatre coins de Séoul) apparaissent, tandis que nous faisons la connaissance de Seok-Woo, un homme d’affaires stressé qui délaisse un peu trop sa fille. Il doit la ramener chez sa mère, et prend le train en compagnie d’une équipe de sportifs, d’un couple en attente d’un heureux événement, ou encore de deux sœurs acariâtres. Le KTX quitte la capitale, mais pas avant qu’une victime infectée ne soit montée à bord : dès lors, c’est la panique à bord, les morts-vivants se répandant de wagon en wagon. Les survivants vont devoir redoubler d’ingéniosité pour survivre en espérant atteindre une zone sécurisée…

Classes tous risques

Dernier train pour Busan : à bord du zombie express !

D’un abord vraiment ludique, Dernier train pour Busan est un film aussi véloce que féroce. Passée la nécessaire mise en situation laissant présager la catastrophe globalisée à venir, Sang-Ho enferme le spectateur dans un décor vertical et compressé, et s’empresse dès lors d’en explorer tous les recoins, toutes les possibilités. Tout comme Bong Joon-Ho parvenait à le faire avec Le transperceneige, alors qu’il se déroule dans un environnement bien plus terre-à-terre et familier, sa mise en scène isole chaque compartiment, par des jeux de lumière, de montage ou d’empreintes visuelles (les maillots des sportifs, le sang sur les vitres, etc.) pour construire une épreuve distincte, sans jamais nous perdre dans sa gestion de l’espace. Un petit exploit, quand on sait que le scénario s’amuse à scinder les groupes et à redistribuer les cartes après une étape apocalyptique à mi-parcours. Des toilettes aux étagères à valises, le moindre recoin du train devient un potentiel abri, une dérisoire porte de sortie avant la nuit.

Mais c’est bien sûr sans compter sur l’individualisme et la paranoïa de certains personnages. Dans Seoul Station, Sang-Ho fait de ses protagonistes, des SDF infectés par le virus, une masse vindicative venant prendre leur revanche sur une société qui les écrase et les relègue dans l’ombre. La même soif de justice émane de Dernier train pour Busan, qui livre un discours d’une clarté cristalline sur les ravages du carriérisme, du libéralisme, ou de la manipulation des médias. Tous les tenants du pouvoir sont les vraies causes du désastre dans le film, depuis la société à l’origine de la catastrophe (que Seok-Woo et ses collègues ont sans le savoir sauvé de la faillite, cruelle ironie) jusqu’aux gouvernants dépassés par les événements, mais continuant de rassurer de manière dérisoire la population à la télévision. Même à bord du train, la lutte des classes se rejoue en circuit fermé à cause d’un PDG haineux et égoïste, qui monte tous les survivants contre nos héros. Là aussi, un procédé classique dans le film catastrophe (il y a toujours un pourri qui veut survivre coûte que coûte, quitte à sacrifier ses semblables), mais qui prend une saveur particulière dans un pays cultivant des inégalités sociales aussi fortes que la Corée du Sud.

Inventivité à grande vitesse

Dernier train pour Busan : à bord du zombie express !

Le sous-texte politique qui irrigue Dernier train pour Busan n’empiète malgré tout pas sur les qualités purement divertissantes du résultat. Intelligemment présenté en France comme « le vrai blockbuster de l’été », alors que son budget réel paraît bien dérisoire face aux cousins hollywoodiens, le film vient à point nommé prouver qu’il est encore possible de brosser une galerie de personnages crédible et attachante, sans faire des tonnes de dialogues explicatifs, de flashbacks incessants ou de digressions narratives hachant le rythme général. Ses personnages secondaires, Sang-Ho les croque en quelques répliques-clés, par des gestes anodins ou des regards qui en disent long. Aucun n’est extraordinairement original (même le héros, joué par le fringuant Yoo Gong, à mi-chemin entre le lâche falot et le leader en quête de rédemption), mais tous existent et ont leur part d’importance dans cet univers. Ce côté tangible, humain, rend les scènes « d’agression » des zombies encore plus tétanisantes.

Par son orientation « action », Dernier train pour Busan choisit de ne pas vraiment faire peur, mais nous cloue plus d’une fois dans le siège, notamment quand la masse des morts-vivants devient une protubérance informe, à la World War Z justement, et menace d’engloutir les vivants. À d’autres moments, le scénario joue au contraire sur l’immobilisme, le silence et le suspense : c’est en variant ainsi les péripéties, les ambiances et le rythme que Sang-Ho marque des points sur la concurrence, qui se contente souvent de singer The Walking Dead. Le film, dans sa dernière ligne droite, se montre moins convaincant quand il verse dans un sentimentalisme jusque là fermement tenu à l’écart : les touches de mélodrame sont inévitables dans le cinéma sud-coréen, et s’avèrent logiques dans ce contexte. Mais leur inclusion détonne un peu dans le paysage, sec et sans pitié, de ce film qui fonce à toute allure vers une conclusion offrant une variation là encore très intelligente sur le mythe fondateur de La nuit des morts-vivants. Un terminus intimiste qui vient conclure un ride de très haute volée, s’imposant facilement comme le meilleur film de zombies de ces dernières années.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatresurcinq

Dernier train pour Busan (Busanhaeng)
De Yeon Sang-Ho
2016 / Corée du Sud / 118 minutes
Avec Yoo Gong, Ma Dong-Seok, Choi Woo-Sik
Sortie le 17 août 2016
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