Nous en parlions il y a quelques mois dans notre rubrique Sur quoi tu bosses ? Quatre ans après son chef d’oeuvre (n’ayons pas peur des mots) Zero Dark Thirty, la réalisatrice Kathryn Bigelow est de retour avec un projet sulfureux qui s’est pourtant tourné sous le radar, son titre final, Detroit, ayant été révélé quelques jours seulement avant la mise en ligne d’une impressionnante bande-annonce. « Il était temps de savoir la vérité », clame l’affiche de ce film en réalité tourné en grande partie à Boston, et qui a pour objectif de retracer, de manière la plus réaliste possible, les événements qui ont ensanglanté la capitale américaine de l’automobile en 1967.
Anarchy in the USA
C’est dans cette période marquée par la lutte pour les droits civiques, et la contestation contre la guerre du Vietnam, qu’ont eu lieu dans le Michigan, entre le 23 et le 27 juillet, des émeutes particulièrement destructrices. Plus de 40 morts, 2 000 bâtiments détruits, des centaines de blessés et des milliers d’arrestations, dans des affrontements entre la population et la police, puis la Garde nationale et l’armée elle-même. Un soulèvement brutal, démarré suite à une descente policière dans un bar clandestin, qui avait mis en lumière le racisme à l’oeuvre au sein des forces de l’ordre, et les discriminations qui affligeaient une cité plus communautarisée qu’elle ne le pensait.
Bien évidemment, Kathryn Bigelow, qui a planché sur le sujet avec son scénariste attitré Mark Boal (Démineurs), ne pouvait s’attaquer à un « meilleur » moment à cet épisode particulièrement sombre de l’Histoire américaine : les derniers mois aux USA ont été marqués par une succession de bavures policières et de soulèvements citoyens comme le pays n’en avait pas connus depuis les années 60. En cinquante ans, les problèmes de classe et de race qui infusent la société américaine n’ont toujours pas été réglés, et il ne faut pas compter sur Bigelow, formaliste éclairée, pour hésiter à appuyer là où ça fait mal.
Réaliste à tout prix
Produit comme ses précédents films par Annapurna Pictures, la société de Megan Ellison, Detroit se concentrera donc sur cette semaine d’affrontements en adoptant plusieurs points de vue, parmi lesquels celui d’un officier de police incarné par John Boyega (Le réveil de la force), et d’occupants du motel Algiers, visé par erreur par la police. Si l’on en croit la bande-annonce, l’acteur britannique devrait être le pivot central d’un récit choral caractérisé par l’urgence de la mise en scène et le réalisme de la reconstitution historique. C’est bien simple, il est impossible de déceler dans ces premières images où s’arrête le documentaire et où commence la fiction : Bigelow, habituée des récits guerriers comme des scènes de foule (il suffit de se souvenir du final tétanisant de Strange Days, au beau milieu d’un réveillon dantesque de l’an 2000), laisse entrevoir en deux minutes à quel point son sens de la géographie, du montage signifiant et le soin maniaque apporté à sa direction artistique, en font une des meilleures réalisatrices de sa génération.
Autant dire que l’attente autour de ce Detroit prévu le 4 juillet dans les salles américaines, et qui commpte aussi au générique les excellents Will Poulter, Anthony Mackie et John Krasinski, est désormais au plus haut. L’annonce de la sélection officielle du festival de Cannes 2017 nous indique malheureusement que Bigelow ne sera pas encore cette fois-ci conviée à rejoindre le gotha annuel du cinéma mondial, mais l’espoir reste permis de croiser le film en avant-première mondiale sur la Croisette. Pour la France, il faudra néanmoins s’armer de patience, puisque Detroit est pour l’heure en attente de distributeur. Au vu de cette bande-annonce, il ne fait aucun doute qu’un candidat (vraisemblablement MGM, qui s’occupe du titre aux USA) devrait rapidement se faire connaître…