Présenté en compétition officielle lors du dernier Étrange Festival et couronné par le Prix Un Certain Regard au Festival de Cannes, White God appartient à la race des films inclassables, sortis de nulle part, à la fois bizarres et signifiants, et qui valent vraiment le détour. Le réalisateur hongrois Kornél Mundruczó, qui n’est pas un débutant, mais dont le travail n’a jamais passé nos frontières, cultive l’art du récit allégorique, comme dans ces précédents longs-métrages Tender Son: The Frankenstein Project et Delta. Mais la comparaison s’arrête là. Pour White God, le réalisateur a pris en connaissance de cause un pari risqué et osé et le résultat est totalement fou et inattendu.

La jeune fille et le chien

White God : un animal politique (Étrange Festival)

Le film s’ouvre sur un flashforward de manière anthologique, avec une séquence haletante dans tous les sens du terme. Loin des clichés qui visent à montrer la scène finale de l’histoire au début pour conserver l’attention du spectateur, ce plan-séquence agrippe notre attention tout en ayant une réelle vocation artistique. Bijou de mise en scène à l’imagerie saisissante, cette ouverture nus montre un Budapest aux airs apocalyptiques (rues désertées, silence oppressant). Elle nous permet aussi de faire connaissance avec la jeune héroïne du film et installe un suspens angoissant, sous forme d’hommage glacé à John Carpenter et Samuel Fueller, avec une horde impressionnante de chiens (des vrais chiens, pas du CGI) lancés à ses trousses.

[quote_center] »Hagen demeure un animal, sans parole ni super-pouvoir, mais le film va le faire s’exprimer, par ses choix de montage, de manière claire et percutante. »[/quote_center]

White God place son intrigue dans une Hongrie ultra-réaliste, avec en toile de fond, les fantômes des dérives totalitaires du régime communiste. La petite Lili, de parents divorcés, retrouve son père pour quelques jours. Seulement voilà, ce dernier voit d’un très mauvais œil son nouveau compagnon à quatre pattes Hagen, dont le seul crime reste de ne pas être un chien de race pure. La loi oblige en Hongrie les propriétaires de chiens dits « bâtards » à s’acquitter d’une taxe très élevée. Comme le père de Lili refuse de prendre en charge ce très beau labrador croisé, ce dernier se retrouve abandonné dans la rue sur un bord de voie rapide, sous les yeux implorants de sa maîtresse.

Révolution canine

White God : animal politique

Suite à cette émouvante mise en abîme du racisme et de l’intolérance latente de la société, le réalisateur prend soudainement le parti du chien – « interprété » par deux labradors différents. Hagen demeure un animal, sans parole ni super-pouvoir, mais le film va le faire s’exprimer, par des choix de montage (et de dressage, nous l’imaginons), de manière claire et percutante. Après son abandon, le chien commence à errer dans les rues de la ville hostile. Au cours de son aventure épique, qui pourrait rappeler certains vieux films familiaux comme L’incroyable aventure ou Les aventures de Chatran si elle n’était pas aussi sombre, il va croiser des compagnons de route, jouer à cache-cache avec les employés de la fourrière et atterrir chez un éleveur de chiens de combat qui va le transformer en arme de guerre à la fois féroce et définitivement brisée. Si le film se défend de tirer la corde sensible de la relation avec l’animal, la scène du « lavage de cerveau » résonne comme une attaque virulente contre la folie humaine, qui rappelle Dressé pour tuer (dont le titre anglais est… White Dog).

Le spectateur suit le chien à la trace dans sa descente aux enfers, de manière à comprendre, les mécanismes qui le conduisent à devenir un monstre sanguinaire. Si, dans une moindre mesure, l’excellent Burning Bright vient immédiatement à l’esprit, c’est pour sa capacité à montrer à quel point les hommes ne conservent jamais une emprise totale sur les animaux. Dans son troisième acte, White God change à nouveau de registre et montre le chien se venger dans le sang, façon slasher des années 90, des exactions commises par certains humains, puis prendre la tête d’une sorte de rébellion animale envahissant les rues de la capitale, dans une sorte de remake à quatre pattes de La planète des singes : les origines.

Une fin de chien

White God : un animal politique (Étrange Festival)

Si Kornél Mundruczó parvient à faire tenir sur pied sa transparente métaphore filée tout au long de son intrigue, le dernier acte laisse pourtant s’écrouler ce fragile édifice. Le chien, érigé en véritable leader, héros malgré lui d’une abominable conquête, court à son inévitable perte. Ce fatalisme annoncé désamorce la puissance de l’intrigue qui revient à la jeune fille, dont les aventures parallèles sont bien moins originales et rythmées que celle son compagnon canin, et à des considérations plus sentimentales. Malgré un plan final superbe et chargé de symboles, les dernières minutes manquent de souffle et de consistance, tout en trahissant quelque peu le spectateur sur leur véritable intention.


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Quatresurcinq
White God
De Kornél Mundruczó
2014 / Hongrie – Allemagne – Suède / 121 minutes
Avec Zsófia Psotta, Sándor Zsótér, Lili Horváth
Sortie le 3 décembre 2014
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Crédit photos : © Pyramide Distribution